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se sont créées. La question a été définitivement tranchée dans le sens de la liberté au grand profit du public.

En France, nous en sommes encore à la période critique. Les détaillans en petits magasins ne peuvent se résoudre à voir de modestes boutiques se transformer, sous l’impulsion de patrons plus habiles et plus heureux que d’autres, en magasins moyens et parfois en grands magasins. Cela leur paraît attentatoire à la liberté du travail. Ce mouvement n’est pas grave en lui-même ; il n’est que la manifestation d’un sentiment instinctif qui porte l’homme lésé dans ses intérêts à dénoncer celui qu’il regarde comme l’auteur de sa souffrance. Il est tout naturel que les petits commerçans, qui ne sont pas tenus de connaître et d’appliquer les grandes lois de l’économie politique et qui vivent paisiblement à l’ombre d’un état de choses séculaire, s’irritent en voyant le public donner la préférence aux nouvelles méthodes commerciales et se porter en foule vers des établissemens où il se procure à meilleur compte et à prix marqués tous les objets dont il peut avoir besoin. Ce qu’il y a de grave, c’est que cette campagne de quelques intérêts privés a trouvé un appui auprès des pouvoirs publics. On a vu ces mêmes hommes politiques qui prodiguent les subventions et les encouragemens aux sociétés coopératives, qui sont la négation même du petit commerce, s’élever contre la prétendue omnipotence de deux ou trois grandes maisons de nouveautés dont le chiffre d’affaires ne représente qu’une infime proportion dans l’ensemble des transactions du commerce parisien. A la chambre on a appelé le fisc au secours des revendications électorales d’une fraction de la population et on a affiché la prétention de mettre en dehors du droit commun des négocians dont le seul crime est d’avoir mis en pratique ce grand principe moderne de la diffusion du bon marché par la diminution des prix de revient résultant de l’économie des frais généraux et le rapprochement du producteur et du consommateur.

Nous ne voulons pas entrer dans le détail des polémiques engagées. Nous nous proposons seulement de rechercher sans parti-pris, et en laissant de côté les questions juridiques et fiscales, les causes de l’évolution commerciale à laquelle nous assistons et de définir quelles seront ses conséquences au double point de vue économique et social.


I.

Au début des nations civilisées, les hommes échangeaient entre eux les produits du sol, de la pêche et de la chasse. Ces échanges