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III.

Nous connaissons les faits ; il s’agit maintenant de les analyser, et de voir quelle lumière on peut en tirer pour l’explication du mécanisme du langage. Ce n’est pas aux auteurs anciens que nous demanderons des renseignemens sur ce point délicat ; ils n’ont trouvé que des explications extrêmement confuses ; un mot semble les avoir beaucoup embarrassés, c’est celui d’amnésie. On entend par amnésie en médecine la perte de mémoire. Les auteurs se sont demandé quel rapport il existe entre l’amnésie et l’aphasie, et quelques-mis, les moins prudens, se sont efforcés de distinguer les deux choses ; travail absolument stérile, puisque l’aphasie est l’altération d’une opération psychologique, le langage, dont l’acquisition repose sur la mémoire. Le langage est la mise en œuvre de la mémoire des signes, et par conséquent la perte du langage suppose une amnésie des signes.

C’est M. Charcot qui a construit la théorie psychologique la plus complète du langage, en se servant des élémens fournis par l’aphasie. Il est juste de remarquer que, bien avant cet éminent auteur, divers observateurs ont élucidé certains points importans, et que Broca, par exemple, a parfaitement saisi le mécanisme de l’aphasie motrice, qu’il considérait comme un trouble de coordination ; mais nous préférons exposer ici la théorie de M. Charcot, parce qu’elle embrasse tous les cas connus d’aphasie ; elle est claire, complète, d’une belle ordonnance, peut-être légèrement schématique ; mieux que toute autre, elle se prête à une discussion de psychologie. Son principal caractère est de présenter un décalque des faits cliniques. M. Charcot a pris pour point de départ l’existence de quatre formes d’aphasie, dont chacune est indépendante des autres, car elle peut se présenter isolément ; il a donc été conduit à admettre que le langage, dont ces phénomènes sont des altérations diverses, est lui aussi composé d’un certain nombre d’opérations mentales autonomes ; et, comme ces opérations sont en définitive des acquisitions de la mémoire, il en résulte que chaque individu possède, quand il emploie le langage conventionnel, quatre espèces de mémoire ; il y a une mémoire spéciale pour la lecture, une autre pour la compréhension des mots entendus, une autre pour l’expression des mots par la parole, et une quatrième pour leur traduction graphique. Chacune de ces mémoires utilise des matériaux qui lui sont propres ; elle se suffit à elle-même et n’a pas besoin du concours des autres pour jouer son rôle.

Cette théorie de la pluralité des mémoires est, dans une certaine