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sens bien différens ; on peut distinguer trois espèces d’auditions : 1° l’audition sensorielle ; c’est la perception brute du son comme tel, et de ses qualités élémentaires, de son intensité, de sa hauteur et de son timbre ; 2° la perception des sons, avec intelligence de leur nature et de leur origine ; nous reconnaissons dans la rue le roulement d’une voiture sur le pavé, la parole d’une personne qui cause, le cri de l’enfant, l’aboiement du chien ; tous ces bruits sont des signes que nous interprétons, et auxquels nous attachons l’idée d’un objet ; c’est l’audition des objets ; 3° enfin, la perception des mots, c’est-à-dire la compréhension des paroles entendues ; c’est l’audition verbale.

C’est cette dernière audition qui est abolie dans ce qu’on appelle la surdité verbale. Le malade atteint de cette surdité particulière peut ne rien perdre de son acuité auditive ; on a même remarqué que parfois son ouïe est assez fine pour entendre la chute d’une épingle sur le parquet ; si on l’interpelle vivement, si on pousse un cri derrière lui, il se retourne ; il a entendu. Bien plus, l’audition de choses est conservée ; ce malade peut reconnaître la nature, comme la direction, des bruits qu’il entend. Mais il ne comprend rien à ce qu’on lui dit ; le mot prononcé devant lui n’éveille point d’idée ; il n’est pas entendu comme mot. Le malade est, en quelque sorte, dans la situation d’une personne transportée au milieu d’un peuple parlant une langue inconnue.

Cette altération du langage a été constatée depuis longtemps, et on la retrouve dans une foule d’observations anciennes ; mais le phénomène ne se présentait pas isolé ; le malade qui ne comprenait pas la parole parlée avait d’autres troubles du langage, par exemple il ne parlait pas ; la perte de la parole spontanée semblait expliquer le reste ; c’est une personne qui a oublié les mots, disait-on ; de même qu’elle ne les trouve pas, quand elle veut les prononcer, de même elle ne les reconnaît pas quand elle les entend prononcer par d’autres. Ces explications superficielles ont dû être abandonnées le jour où l’on a vu que la surdité verbale peut coïncider avec la conservation de la parole, et que par conséquent les deux opérations sont distinctes et indépendantes.

Cette indépendance était bien manifeste chez un malade de Wernicke, qui répondait aux questions orales, mais sans les comprendre. On lui demande : « Comment allez-vous ? — Je me porte très bien, je vous remercie. — Quel est votre âge ? — Cela va bien, merci. — Quel est votre âge ? — Voulez-vous dire comment je m’appelle, comment j’entends ? — Je voudrais savoir quel est votre âge ? — Justement, je ne le sais pas, comment je l’entends appeler, etc. » Ainsi, ce malade ne comprenait pas ce qu’on lui