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LE BERRY.


ne serait sans doute plus dramatique, comme aussi plus monotone. Disons pourtant que les hobereaux rapaces ne parvinrent pas toujours à faire disparaître en leur faveur la liberté native des héritages, ou, comme on disait alors, « la présomption d’allodialité. » Au nord de notre première France, on disait : Nulle terre sans seigneur. Passé la Loire, la maxime était : Nul seigneur sans titre. Les seigneurs de Boibelle, en Berry, qui disaient ne tenir leur principauté que de Dieu, de leur épée et du lignage, gardèrent ïdur indépendance absolue jusqu’à Louis XV. Et cependant, que de redoutables voisins les menaçaient ! Comme l’a dit un historien en parlant de cette seigneurie de Boibelle, « elle maintint son indépendance, comme quelquefois un petit oiseau s’échappe plus aisément des prises du grand oiseau de proie par sa modicité. » Le prince de Boibelle battit monnaie jusqu’au xviiie siècle ; il avait ses soldats, réglait ses impôts, et Louis XIV lui-même respecta tous ces droits. Quand, en 1766, Louis XV devint propriétaire de Boibelle et de l’Henrichemont actuel, il fut convenu que leurs habitans seraient exemptés de contributions pendant quinze ans.

Aux comtes de Bourges succédèrent des vicaires et des vicomtes, lesquels n’avaient été jusque-là que des officiers subalternes. Ce qu’il y a de remarquable, c’est qu’ils s’attribuèrent ces hauts titres sans l’investiture royale. Des individus chargés d’emplois fort divers étaient sous leurs ordres. Comme les rois, ils avaient leur chancelier, leur sénéchal, leur bouteiller et leur viguier ou voyer, chargés de la justice et de la police. Il y avait également des vicaires et des prévôts qui prélevaient certaines amendes et exerçaient les droits de justice au nom de la vicomte, preuve qu’il y a avait un tribunal ou une cour de ce nom. Elle était composée de notables habitans, de nobles vassaux, et des personnages éminens du clergé. En 1262, le parlement de Paris devait décider que telle serait la composition des assises de Bourges et qu’elles auraient autorité pour juger les nobles. Le parlement ne faisait que confirmer probablement ce qui se pratiquait depuis l’origine des comtés.

On trouve des seigneurs du nom de Bourbon dans les premiers viguiers de Bourges, et, comme ils en remplirent longtemps les fonctions, il est permis de supposer que l’origine de leur fortune est due aux droits qu’ils percevaient sur les denrées et marchandises qui entraient dans la ville, sur les filles folles de leur corps, les duels, les gages que se donnaient les créanciers et jusque sur l’alignement des maisons et des rues. On cite parmi les grands vassaux de la vicomte de Bourges, les seigneurs de Dun sur Auron, ceux de Méhun sur l’Yèvre où mourut Charles VII ;