Page:Revue des Deux Mondes - 1892 - tome 109.djvu/118

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
112
REVUE DES DEUX MONDES.


Comme si ce n’était pas assez de ces calamités, les Normands remontent le cours de la Loire, poussent jusqu’à Clermont et surprennent Bourges, qu’ils pillent et qu’ils reviennent incendier dix ans après. Eudes, duc de France et comte de Paris, fils de Robert le Fort, était seul en mesure de combattre ces pillards ; les seigneurs qui, plus tard, devaient le proclamer roi, le secondèrent dans cette lutte dont il sortit victorieux. Le comte de Bourges et d’Auvergne, Guillaume le Pieux, loin de se joindre au vaillant comte de Paris pour combattre les hommes du Nord, eut l’idée étrange de lui faire opposition. Nouvelles luttes à la suite desquelles Guillaume mourut, et, avec lui, le dernier comte de Bourges. La féodalité, déjà puissante, va se développer davantage et créer en Berry un nombre considérable de centres seigneuriaux. Comment en eût-il été différemment ? Les terres de cette province, placées entre ce qu’on appelait alors la France et l’extrémité de l’Aquitaine, sans repos exposées aux influences rivales du Nord et du Midi, ne pouvaient que très difficilement s’ériger en un fief unique et puissant, et, seules, se défendre contre les entreprises de voisins ambitieux.

L’hérédité des offices royaux et des bénéfices, qui avait créé la féodalité, contribuait aussi de plus en plus au développement de celle-ci. Au début, ces offices et bénéfices, donnés à vie, devinrent par la suite héréditaires. Charles le Chauve dut s’incliner, bien à contre-cœur, devant leur douteuse légitimité. La féodalité ne sut ni se contenir ni se gouverner. Ce qui la perdit, ce ne furent point les spoliations commises sur d’impuissans vassaux, mais les dissensions qui éclataient entre seigneurs au sujet de leurs domaines, à leur manque d’unité et à la trop fréquente mise en pratique de cette maxime indigne : la force prime le droit. C’est au moment où elle s’accroît en force et en nombre, aux ixe et xe siècles, que s’élevèrent ces manoirs, donjons, châteaux-forts, forteresses, dont j’ai parlé au début. Les bords inégaux de l’Anglin et les rives autrefois boisées de la Creuse en furent hérissés. Tout seigneur, faible ou puissant, voulait posséder un refuge inabordable où il pût garder le fruit de ses rapines et se tenir à l’abri de représailles. Les environs en dépendaient : terres, offices, chasses, péages, foires, mouture du blé, cuisson du pain et autres droits seigneuriaux. Tellement nombreux devinrent ces nids à vautour que Charles le Chauve se vit obligé d’en ordonner la démolition.

Défense vaine et qui resta lettre morte devant le mouvement qui portait la féodalité du Berry à ne reconnaître aucun maître et à ne subir aucune loi. Ferons-nous l’historique de ces luttes ? Rien