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LE BERRY.


Amand ; joignez-y les ruines grandioses de l’abbaye de Déols, celles des forteresses du Lys-Saint-Georges, de Châteaubrun, de Saint-Chartier, de Sainte-Sévère, du vieux château de Mont-Rond, où croît encore une plante d’Orient qui y fut apportée au temps des croisades, et vous aurez un ensemble parfait de ce qui plaît aux yeux et dans les souvenirs du passé. C’est au printemps ou plutôt en automne, quand le ciel et les vents sont démens, qu’il faut parcourir le Berry ; alors, vous vous apercevrez de l’affinité qui s’est établie entre les habitans et la contrée qui les a vus naître, qu’ils aiment au point d’en mourir lorsqu’on les en éloigne.

Comme le Berrichon de la Brenne et de la Champagne, l’habitant du Boischaut a aussi ses légendes, sa croyance au surnaturel. Là où quatre chemins se croisent dans la Vallée-Noire, apparaissent à minuit des hommes sans tête ; et c’est sur les rives de l’Indre que s’entendent les battoirs de mystérieuses lavandières. Elles sont de tous les pays où il y a de ces grenouilles dont le coassement imite à s’y méprendre le bruit d’un battoir frappant sur la pierre. « Il faut se garder de les approcher, disent ceux qui prétendent en avoir vu ; elles vous battraient comme linge. » La peillerouse est une femme qui se tient la nuit sous la guenillière des églises. On appelle guenillière, dans les campagnes du Berry, le porche à toiture rouge, aux piliers de bois vermoulu, sous lequel, pendant les offices, se tiennent les mendians.

Ce qu’ailleurs on appelle le gobelin, le lutin, le farfadet, le kobbold, l’orco, l’elfe, le trole, etc., se nomme en Berry le follet. Il en est de bons et de mauvais. Les plus malicieux se bornent à atouroler ou embrouiller le lin sur le fuseau, et à voler dans la huche au pain les galettes mises en réserve pour ses enfans par la ménagère. Ce sont les plus affamés des bambins qui doivent valoir aux follets leur réputation. Le paysan du Berry a, comme tous les autres paysans, des hallucinations, et alors il croit voir cramoisi ; le plus souvent ce sont des aérolithes ou les reflets du soleil couchant dans les clairières des forêts qui lui font croire à l’homme de feu. C’est l’homme de feu qui, l’été, fait flamber soudainement les taillis et même des maisons. Les fumeurs distraits croient fermement en lui. Il est aussi casseur de bois, cet incendiaire, car il frappe à coups redoublés sur les arbres quand de grandes rafales les secouent. Un jour que je chassais dans les Tailles, un bois fort épais des environs de Saint-Chartier, j’entendis la hache d’un braconnier s’abattre plusieurs fois sur un chêne. Je m’élançai dans la direction du bruit, mais le braconnier, à mon approche, avait fui avec plus de rapidité que je n’étais accouru. Le Berrichon que