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autant d’habileté et de résolution que de succès. Il a tenu tête à l’orage, sans faiblesse, sans rien livrer d’essentiel, et c’est beaucoup.

Il faut tout voir. Que le marquis di Rudini ait réussi à persuader qu’entre l’Italie et l’Autriche il y a un intime et parfait accord de sentimens, que si l’unité italienne venait à être attaquée, — on ne sait par qui, — les Croates accourraient pour la secourir, c’est une autre question. Il a eu du moins l’art de pallier de vieilles incompatibilités, de vieilles défiances pour l’honneur de l’alliance du jour, et par le fait cette discussion, qui était peut-être plus dangereuse qu’utile, a eu ses résultats. D’abord le ministère, qui pouvait être embarrassé, a fini par sortir plutôt fortifié qu’affaibli de ces débats. Il a rallié une majorité presque inattendue. Vainement M. Crispi a essayé de l’ébranler par ses retours offensifs, par la violence envenimée de ses discours, par ses sorties impétueuses et décousues contre la loi des garanties ; il l’a plutôt servi, il n’a réussi qu’à perdre le peu d’autorité qu’il gardait encore dans le parlement. Il s’est compromis comme chef d’opposition et comme prétendant au pouvoir. Le ministère a vaincu malgré lui, contre lui, et a gardé ses positions. Premier résultat. De plus, il reste acquis après ce nouveau débat, après les déclarations du président du conseil, que la loi des garanties demeure plus que jamais la charte des rapports de l’Italie avec le Vatican. M. di Rudini, avec la résolution et la prévoyance d’un homme d’Etat, n’a point hésité à affirmer la ferme volonté de maintenir et de faire respecter cette loi, de lui laisser toute la valeur d’un acte statutaire. Au fond, c’est évidemment ce qu’il y a de plus habile, puisque c’est le seul moyen d’éviter des complications nouvelles, de détourner toutes les préoccupations.

Chose curieuse, cependant, et singulièrement frappante ! les Italiens ne cessent de répéter que cette question de la papauté et de Rome est désormais résolue, qu’elle a été tranchée souverainement par l’Italie dans un intérêt national, qu’elle n’existe plus, qu’il n’y a plus à s’en occuper. Ils le disent, ils le croient ou ils le désirent, — et on a beau faire, cette terrible question, elle renaît sans cesse à tout propos, le plus souvent ravivée par les Italiens eux-mêmes. Elle renaît tantôt à la suite d’incidens malencontreux trop visiblement tolérés, tantôt pour une simple observation émise dans une assemblée étrangère, tantôt enfin par cette perpétuelle mise en doute d’une loi qui est la dernière garantie du saint-siège. Les Italiens ne s’aperçoivent pas qu’ils feraient beaucoup mieux de parler moins d’une si épineuse question et de commencer par assurer sans subterfuge au pape cette situation libre et indépendante que M. de Kalnoky se bornait l’autre jour à désirer pour le chef de l’Eglise.

C’est le malheur des puissances de l’Europe d’avoir souvent entre elles de redoutables rivalités, d’être divisées d’intérêts, de traditions