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véritables opérations de guerre avec les rois nègres du Niger : « Il y a donc encore une expédition ! » s’écriait l’autre jour M. Camille Pelletan d’un air surpris et ironique. Eh ! oui, il y a une expédition au Soudan, il y a toujours des expéditions, parce que dans ces contrées on ne se défend et on ne règne que par la force. Le résultat est cet état équivoque que la dernière discussion a rendu plus saisissable, où le gouvernement se trouve pris dans des opérations qu’il n’avoue pas, qu’il n’a pas été autorisé à entreprendre, et dont on lui demande compte. Le mieux serait certainement de rentrer dans la vérité, de s’avouer que la politique coloniale a des fatalités et qu’elle coûte cher, de savoir aussi se tracer des limites. C’est, après tout, la moralité de ces derniers débats.

Et, maintenant, comme pour donner une physionomie plus tumultueuse à cette fin de session, comme pour compliquer une situation qui naguère encore était assez simple, est survenue cette double interpellation qui vient pour ainsi dire de faire explosion au Palais-Bourbon comme au Luxembourg, au sujet des affaires religieuses. Tout en vérité a singulièrement changé en peu de temps. Depuis six mois, les vieilles luttes semblaient se calmer par degré. Entre les chefs du clergé et les chefs du gouvernement qui se sont rencontrés plus d’une fois cet été, il n’y avait eu que des paroles de modération et de paix. Tout semblait tendre à une conciliation salutaire, si bien qu’aux premiers jours de la session on paraissait d’accord pour écarter ou ajourner des discussions qui pourraient troubler ce mouvement heureux. Comment donc tout cela a-t-il changé si vite ? C’est cette triste affaire des pèlerinages de Rome qui a ravivé l’agitation et remis la paix en doute, par la série d’incidens dont elle a été le point de départ. Une circulaire toute simple de M. le ministre des cultes a provoqué une lettre des plus vives de M. l’archevêque d’Aix. La lettre de M. l’archevêque d’Aix a provoqué des poursuites et même une condamnation légère. Poursuite et condamnation ont provoqué de la part d’une portion de l’épiscopat des protestations, des manifestations véhémentes. Aux manifestations des évêques ont répondu les manifestations anticléricales, les hostilités qui n’attendaient qu’une occasion, les interpellations qui avaient été écartées jusque-là et qu’on s’est hâté de reprendre. Tout s’enchaîne, — et voilà la paix encore une fois compromise par des impatiences d’irritation, par une suite d’incidens qui auraient pu être évités pour le bien et l’avantage moral du pays !

Certainement, avec plus de sang-froid ou de liberté d’esprit, le gouvernement aurait pu se dispenser de mettre la justice en mouvement et d’exercer des poursuites. Son autorité et sa dignité n’étaient pas réellement engagées. S’il s’était borné à avertir M. l’archevêque d’Aix, il n’y aurait rien perdu et ce serait déjà oublié. Recourir à une répression un peu extraordinaire, c’était prolonger et aggraver