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celles où le conseil se retrouverait en original, tel qu’il a été donné et reçu, s’il n’était d’invention pure. Ce n’est pas la bonne foi de M. d’Haussonville qui est en cause, c’est son infaillibilité. Ses papiers inédits étant pauvres d’informations relatives à mon père, il a essayé de deviner. Il a cédé à l’envie de stigmatiser, en se fiant à deux ou trois indices indirects et à sa propre pénétration, une correspondance dont il ne connaissait pas une ligne.

Voici ce dont il s’agit. Le poème de Pascal est formé de diverses pièces, dont une a pour titre la Croix. Dans le recueil imprimé, c’est un monologue du poète ; mais l’ébauche primitive, que M. d’Haussonville a publiée, était toute différente. Le monologue du poète s’interrompait pour faire place à un dialogue, où Pascal s’adresse à Jésus et où Jésus répond à Pascal ; ce dialogue, tant pour la forme que pour le fond, est directement imité du Mystère de Jésus. Mon père, à en croire M. d’Haussonville, s’indigna que Mme Ackermann eût mis son inspiration au service de la foi de Pascal, et il lui persuada de renoncer à la pièce qu’elle avait composée, pour lui en substituer une autre où elle raillerait au contraire sa faiblesse et sa crédulité. C’est là le conseil signalé avec une sévérité si sûre d’elle-même. En réalité, voici textuellement ce que mon père a écrit à Mme Ackermann, le 11 juillet 1871, après lecture de la Croix sous sa première forme : Le dialogue entre Pascal et Jésus ne l’égale pas (c’est-à-dire n’égale pas le début de la pièce précédente) : on a déjà remarqué qu’il semble impossible de mettre en vers l’Évangile, vous avez rencontré là une difficulté semblable. Il semble que la richesse même du vers appauvrit des pensées qui semblent dans leur nudité recouvrir et contenir l’infini. C’est tout ; découvre ici qui voudra l’indignation et l’excitation à la raillerie. Et il n’y a rien de cela non plus dans ce que dit mon père de l’ensemble des trois pièces qu’il connaissait à ce moment.

M. d’Haussonville ne s’en est pas tenu à un seul trait. Ne pouvant se figurer qu’une femme ait eu la pensée assez ferme pour publier la plus hardie de toutes les pièces, celle du Dernier mot, dont lui-même n’ose pas parler en homme de lettres, il affirme que mon père a fait pour Mme Ackermann la police de sa volonté : M. Havet était là qui veillait. C’est encore conjecturer, et la conjecture est encore fausse ; j’en ai la preuve en main. Elle est d’ailleurs illogique, car elle jure avec la citation dont M. d’Haussonville la tire. Et enfin elle est d’une critique pour qui les Poésies philosophiques sont lettre close, puisqu’il lui échappe que Mme Ackermann pensait par elle-même. M. d’Haussonville ne peut prendre son parti de ce qu’il appelle cette diatribe de Mme Ackermann ; il la lui reprocherait sévèrement, dit-il, s’il n’y retrouvait l’écho d’une inspiration étrangère. De là une hypothèse assortie aux autres ; sans mon père qui veillait, qui sait si Mme Ackermann n’eût