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la divinité. Elle avait le go, comme disent les Yankee ; elle alla, publia, prêcha. Elle écrivit d’abord pour une revue libre penseuse un certain nombre d’articles réunis depuis sous ce titre : Mon passage à l’athéisme. En 1874, elle fit la connaissance de M. Bradlaugh et collabora sous le pseudonyme d’Ajax au journal qu’il venait de fonder, le National Reformer. Puis elle s’associa avec lui pour la direction de la Librairie de la libre pensée et devint ainsi l’éditeur responsable de livres qui, dans un pays religieux, devaient paraître parfaitement effroyables. En même temps, elle faisait des lectures. Indomptable et fanatisée, elle courut l’Angleterre, l’Ecosse, et devint la conférencière la plus renommée du royaume-uni. Ses ennemis les plus décidés reconnaissent qu’elle a le don de l’éloquence populaire : une parole très facile, très chaleureuse, apte à énoncer des idées déjà connues. Elle avait eu le talent de rester femme, quoique auteur ; avec un beau front, des yeux brillans, une bouche souriante et bonne, on sait toujours être jolie. Joignez à cela qu’elle s’habillait d’une façon seyante ; sa personne illustrait sa doctrine au lieu de la ridiculiser, chose rare. Elle eut de grands triomphes. Au congrès international socialiste de Paris, elle lutta contre le grand agitateur John Burns, celui qui a la réputation, en Angleterre, de savoir le mieux « empoigner » une foule, et le vainquit. Un autre jour, à Bernsley, lors d’une grève de mineurs, elle monta à la tribune, déclara aux grévistes qu’ils étaient dans leur tort, et, ce qui est presque incroyable, les persuada. Ils applaudirent et le lendemain se rendirent au travail. Voilà pour le prosélytisme. Ce fut aussi un sentiment de charité faussé qui lui fit prendre la direction du mouvement malthusien. Pour un positiviste, la charité chrétienne est une faute, puisque le devoir est de supprimer la misère et non de la pallier par des dons inutiles. Mme Besant voulut empêcher les malheureux de procréer des malheureux. Il faut remarquer que depuis Malthus un certain nombre de philosophes et de publicistes avaient continué à soutenir ses principes. On peut citer parmi eux Stuart Mill et plus récemment Owen et le docteur Carlyle, auteur du Livre de toutes les femmes. Mais Mme Besant et M. Bradlaugh voulurent s’adresser à un plus grand public, vulgariser la théorie demeurée jusque-là en Angleterre à l’état de pure spéculation. En 1877, ils publièrent une petite brochure intitulée : les Fruits de la philosophie, conseils aux jeunes mariés. Le livre n’était pas d’eux, mais d’un auteur anonyme qu’on sut depuis être un certain docteur Knowlton. Mme Besant le jugeait insuffisant et médiocre, mais quand la justice le poursuivit pour obscénité, elle revendiqua hautement, ainsi que son associé, sa responsabilité d’éditeur. Ils déclarèrent qu’ils partageaient les doctrines énoncées et se laissèrent traduire devant le banc de la reine. Le procès