Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/922

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que Jésus l’ordonnait ainsi, quand c’était du droit même de Jésus à donner un tel ordre qu’elle doutait. Elle lut Renan, Strauss, Auguste Comte, évolua rapidement vers l’athéisme. Son mari voulut la forcer à respecter au moins les formes extérieures du culte, il lui donna, écrit-elle, à choisir entre « l’hypocrisie et l’expulsion. » Elle choisit l’expulsion.

Elle partit, emmenant avec elle la fille née de son mariage et pour laquelle elle montra toujours les plus tendres sentimens. Plus tard, son mari lui en fit retirer la garde : elle la réclama âprement et à plusieurs reprises. A travers son existence vagabonde elle conserva toujours un grand instinct de dévoûment maternel et féminin ; elle demeura honnête et nul n’accusa jamais sa vie privée. Cependant il lui fallait donner libre exercice à son dévorant esprit. Il existait alors une agitation antireligieuse, connue sous le nom de mouvement séculariste, dirigée par M. Bradlaugh et à laquelle l’arrivée des réfugiés socialistes français, échappés à la répression de l’insurrection communaliste de 1871, avait donné une nouvelle vigueur. Mme Besant y prit part.

Vous connaissez ces esprits, parfois si séduisans, à qui manque malheureusement la faculté supérieure de direction que le vulgaire appelle le jugement. Ils ne parviennent jamais à accorder leur raison et leurs sentimens. Ils sont religieux d’instinct, car ils ont un très grand besoin d’aimer, c’est-à-dire de croire. D’autre part, leur intelligence très vive, éprise de ce qui est net, bien que se contentant facilement des apparences de la netteté, les pousse à examiner les raisons de leur cœur et à les condamner s’il semble qu’elles le méritent. Ils restent quelque temps dans un état d’équilibre instable entre ces deux pôles moraux, puis sont attirés violemment par l’un d’eux. L’autre cependant continue à agir et fait sentir son influence. Il en fut ainsi pour Mme Besant. Quand, après une grande lutte intérieure, elle eut rompu violemment, non pas seulement avec le conformisme anglican, mais avec toute idée religieuse, il demeura encore en elle des traces brûlantes de son ancienne foi ; la preuve, c’est qu’après avoir écrit un éloge d’Auguste Comte, elle ne devint pas positiviste, mais athée, ce qui est fort différent, puisque l’athéisme n’est guère qu’une religion à rebours et transitoire à laquelle on ne se lient pas : on le vit bien plus tard quand Mme Besant évolua vers le théosophisme parce que le surnaturel en est romanesque. Mais du temps même de son athéisme, deux signes montrèrent toujours l’état de son âme : elle poussa au plus haut point l’esprit de prosélytisme et l’esprit de charité. En cela elle diffère de Mme Ackermann qu’on serait tenté de lui comparer, mais qui se contentait d’exprimer en vers un peu gonflés, et dont la forme n’était pas bien à elle, une haine toute théorique de