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coïncidaient généralement avec une diminution des naissances, mais une simple remarque n’est pas une explication : ce qu’il faut découvrir, c’est comment, par quel mécanisme les naissances diminuent. D’ailleurs, en Angleterre, le mouvement de chute de la natalité va plus vite que la décroissance de la mortalité. Nous avons vu que les freins naturels : maladie, misère, déperdition des forces intimes de la race, n’ont pas eu ici d’action. Toutes les hypothèses ayant été éliminées, il n’en reste plus qu’une : il faut que ce soit la volonté même des reproducteurs qui ait restreint le nombre des êtres humains appelés à la vie. Or, par une coïncidence significative, la diminution des naissances commence un an juste après l’ouverture, en 1877, de la célèbre campagne malthusienne menée par Mme Annie Besant et M. Charles Bradlaugh. Cette campagne n’a pas créé la situation, mais elle a eu un grand retentissement, précisément parce qu’elle érigeait bruyamment en dogme une coutume qu’on commençait à pratiquer en secret.


I

De M. Charles Bradlaugh nous ne parlerons pas. Ses efforts longs et renouvelés pour la diffusion des doctrines athéistes en Grande-Bretagne, ses refus sonores et successifs de prêter, comme député, serment de fidélité à la reine sur la Bible, parce qu’il ne croyait pas au caractère divin du livre, ont fait connaître au public français son nom, et quelques-uns des traits de sa vie. Mais il est peut-être utile de lui présenter Mme Besant.

Quand, à l’occasion de sa campagne malthusienne, Mme Besant fut traduite devant les tribunaux anglais, elle n’avait pas trente ans. Elle en a donc quarante-quatre maintenant. Récemment, on le sait, elle s’est convertie au théosophisme, et même, succédant à Mme Blavatski, elle est devenue le « mahatma, » la papesse de cette nouvelle religion. Ce n’est pas là le moins curieux de ses avatars, et nous en raconterons peut-être un jour l’histoire : nous étudierons alors soigneusement ses antécédens héréditaires au point de vue religieux. Dès aujourd’hui, il est nécessaire de remarquer qu’ils sont très complexes. Sa famille, apparentée à lord Heatherley, est honorable et ancienne. Son père, le docteur Wood, qui habitait Londres, était un homme intelligent, instruit, passionné de lettres, surtout de lettres anciennes, et si parfaitement et solidement sceptique qu’à son lit de mort, il repoussa le prêtre que sa mère, catholique ardente, lui avait envoyé. Ce fut de lui que sa fille hérita l’ardeur de savoir et l’esprit d’examen, mais il ne put la diriger et la guider, car il mourut en 1852, lorsqu’elle était âgée de cinq ans à peine. Mme Wood demeura veuve, sans fortune, avec