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ministres, ceux-là, oui, étaient détestés ; mais le roi Thibau ou tout autre de sa race serait populaire. Son avènement ferait tomber les armes des mains des dacoits et assurerait la pacification. Quant à l’administration, les Anglais la conduiraient sous son nom, à leur guise, par l’intermédiaire de quelque sage administrateur, comme, par exemple, le colonel Sladen, qui connaissait si bien les choses de Birmanie et aurait une irrésistible influence sur le roi, ses conseillers et ses ministres.

Voilà ce qui se murmurait à l’oreille de lord Dufferin, et quoique ces assertions fussent contredites par certains indigènes considérables, elles ne pouvaient manquer, à cette heure où tant de responsabilités pesaient sur lui, de faire sur son esprit une forte impression. Il était naturellement assez disposé à accepter une combinaison de ce genre. Il l’avait vue, de l’Inde, fonctionner sous ses yeux dans un certain nombre d’États vassaux (native states), et, en arrivant à Mandalay, il trouvait, établi à titre provisoire, un système de gouvernement voisin de celui qu’on lui recommandait, sans le roi (qui, dès la première heure, avait été expédié prisonnier sur Rangoon), mais avec son ancien conseil d’État, sous la présidence du colonel Sladen lui-même. Cependant, malgré tant de raisons de se rallier à l’idée d’un protectorat, il crut devoir l’écarter. Un protectorat implique au fond deux pouvoirs distincts capables de suffire à des devoirs distincts : le protecteur, qui sert d’intermédiaire entre les puissances étrangères et le protégé ; le protégé qui sert d’intermédiaire entre le protecteur et les populations indigènes. A eux deux, ils doivent assurer la paix extérieure et la paix intérieure. Pour la paix extérieure, les Anglais, certes, offraient à leurs protégés une caution suffisante ; en revanche, ils s’inquiétaient de savoir si ces protégés pourraient leur garantir la paix intérieure. Or ils estimèrent à ce moment que ce gouvernement protégé serait incapable de tenir ses engagemens. En effet, nul de ceux qui, d’après la définition même du protectorat, seraient appelés à agir sur les populations, n’avait gardé sur elles une influence suffisante.

Il ne fallait plus d’abord compter sur le roi Thibau, qui, par ses cruautés, avait soulevé contre lui une partie du pays, et, par sa soumission trop prompte, s’était aliéné le reste. A défaut de lui, on pouvait espérer trouver un prince de sa maison capable du rôle de roi d’un État protégé et disposé à le jouer : on n’en trouva point. Cette race des Alompra ne comptait plus guère que des princes dégénérés, et ceux qui faisaient exception à la règle étaient ou trop compromis ou trop hostiles à l’Angleterre pour qu’on pût faire fonds sur eux. L’un d’eux était ce prince Myn-Goon, dont tous nos