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fonctionnaires. A sa tête était un conseil investi de pouvoirs étendus, plus étendus encore, grâce à l’esprit libéral des secrétaires de l’Inde à Londres[1] ; enfin, présidant ce conseil, en sa qualité de gouverneur-général et de vice-roi, se trouvait un homme d’une grande largeur d’esprit, d’une justesse de vue et d’une promptitude de décision rares, lord Dufferin, à qui les succès de Birmanie valurent le titre de marquis d’Ava. Toutes ces circonstances, dont assurément la plus importante est que les décisions étaient prises, non pas à Londres, mais à Rangoon ou à Calcutta ou à Simla, et par des hommes qui connaissaient la situation et ce qu’elle exigeait, toutes ces circonstances qu’aucune autre puissance n’aurait rencontrées réunies, rendirent plus aisée l’œuvre de conquête, de pacification et d’organisation, sans que pourtant elles doivent, à nos yeux, en diminuer le mérite.

Un pays ne se conquiert et ne se pacifie ni à coups de canon seulement, ni seulement à coups de décrets. Il y faut des uns et des autres et tout ensemble et successivement. Leur effet se mêle et se combine, et dans le résultat définitif, il est souvent téméraire de prétendre discerner ce qui revient à l’homme de guerre et ce qui revient à l’homme d’État. Mais pour la facilité et l’utilité de nos études, il importe de séparer les mesures d’ordre politique et les mesures d’ordre militaire.

Quand du seul point de vue militaire on examine les mesures auxquelles les Anglais ont demandé la pacification de la Birmanie, on voit qu’elles se réduisent à ceci : avoir, au moment voulu, beaucoup de troupes de la nature et de la qualité qui conviennent, et mettre à leur tête des chefs ayant le genre d’expérience que le pays requiert. Ici encore, remarquons-le, les Anglais avaient beau jeu. La plus grande partie des forces employées en Birmanie, ils les tirèrent de l’Inde. Or, d’une part, l’Inde était, à cette époque, absolument calme, et pouvait, de son effectif normal, distraire autant de troupes qu’on le jugerait utile ; d’autre part, ces troupes de l’armée des Indes avaient ordinairement vécu sous un climat et manœuvré sur un terrain semblables à ceux qu’ils rencontrèrent dans les vallées de l’Iraouaddy et de la Chindwin, ou sur les pentes des monts birmans. Enfin, les généraux qu’on mit à leur tête avaient, eux aussi, fait leur carrière dans l’Inde et, pour la plupart, y exerçaient un commandement au moment où on les

  1. « Le gouvernement de Sa Majesté désire laisser à Votre Excellence une grande liberté quant aux méthodes précises qui vous sembleront convenables pour réorganiser le gouvernement de la Haute-Birmanie. Votre Excellence aura, dans le cours du temps, à déterminer le nombre des troupes qui peuvent être nécessaires pour maintenir la paix et réduire les bandes de dacoits. » (Dépêche de lord Randolph Churchill à lord Dufferin, 31 décembre 1885.)