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l’enthousiasme universel, bientôt dédaignée et presque désertée, conservée seulement parce qu’un gouvernement sage ne se déjuge pas si vite, puis revenant à la vie, grandissant par des causes imprévues et s’élevant au rang des plus grands ports marchands et des plus agréables cités, cette histoire nous démontrerait une fois de plus cette vérité, aujourd’hui banale, que les entreprises de colonisation veulent une inépuisable patience, une forte dose d’entêtement, parfois même une négation obstinée et naïve de ce que le vulgaire appelle évidence et que, suivant un joli proverbe anglais, where ignorance is bliss il is folly to be wise. Elle nous ferait voir encore la quantité d’erreur que peuvent renfermer les plans les mieux conçus, la part qui, dans le succès des hommes, revient à la seule fortune, et que peut-être toute la sagesse humaine consiste, sans jamais compter sur elle, à toujours être en état de profiter de ses faveurs.

La Birmanie, et avec elle l’Inde, dont elle n’est qu’une province, nous fourniront d’autres leçons.

On pourrait étudier la Birmanie de plus d’un point de vue.

On pourrait s’en tenir à la Birmanie anglaise, c’est-à-dire à la province de l’Inde qu’on appelait, avant 1885, British Burmah ; y analyser la politique des Anglais envers les indigènes, démonter le mécanisme de leur administration, en constater les effets et déterminer ce qu’il convient et d’imiter et d’éviter. Ce serait un travail instructif, mais incomplet, puisqu’aujourd’hui la Birmanie anglaise a, depuis 1885, plus que doublé sa superficie, qu’elle s’étend de la mer à la frontière de la Chine et du Siam, et que tout l’intérêt de son entreprise est dans ses relations avec ses sujets authentiques, mais encore mal soumis, de la Haute-Birmanie proprement dite, et avec ses problématiques tributaires, appelés Shans par les Anglais et par nous Laotiens.

On pourrait aussi faire le tableau des difficultés périodiques des Birmans et des Anglais, le récit des guerres de 1824, de 1852 et de 1885 et des démembremens qui ont suivi les premières, de l’absorption totale à laquelle la dernière a conduit. Ce serait, surtout pour la période la plus récente, un joli chapitre à ajouter à l’histoire des provocations cherchées et des conquêtes involontaires, avec une morale toute prête pour la fable du Pot de terre et du Pot de fer.

On pourrait enfin décrire les rivalités de la France et de l’Angleterre, rivales en Indo-Chine au XIXe siècle, comme elles l’ont été dans l’Inde au XVIIIe. On y montrerait l’Angleterre, il y a plus de soixante années, s’emparant, « à son corps défendant, » d’une partie de la Birmanie ; la France, après elle, convoitant tour à tour l’Annam, le Cambodge et peut-être la Birmanie elle-même,