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remplacée par une autre, et justement à propos de la Renaissance, il écrit : « L’entreprise de fonder en France un théâtre national animé, pathétique, original, qui ne dût rien à l’antiquité[1], rien aux nations voisines, avait, dès lors, définitivement échoué. Sans doute, la perfection de notre théâtre classique ne laisse place à aucun regret ; mais qu’on n’oublie pas qu’entre la moralité de l’Empereur qui tua son neveu et le Cid, il s’est écoulé plus de cent ans ; un long siècle, tout plein d’inutiles efforts, de tentatives avortées ; et vide, ou bien peu s’en faut, d’œuvres dramatiques dignes de mémoire. » Voici qui est encore plus explicite : « La comédie du moyen âge n’avait jamais imité ; elle est souvent médiocre, mais elle est toujours elle-même. Au contraire, la comédie de la Renaissance (et c’est par là surtout qu’elle se distingue de ceux à qui elle succède) a puisé largement aux sources anciennes ou étrangères, surtout chez les Latins et les Italiens. Ces derniers lui ont fourni tout l’imbroglio, inconnu au moyen âge ; déjà complexe, mais encore monotone à l’époque de la Renaissance. Un peu plus tard, la comédie croyant avoir épuisé Plaute, Térence, l’Arioste, empruntera aux Espagnols ; et ce procédé avoué d’imitation, de traduction, autorisé par d’heureux exemples, régnera sur la scène française et dans le roman, jusqu’à la fin du XVIIe siècle. » Ce qui n’empêche pas M. P. de Julleville de reprendre, aussitôt après, la thèse sur laquelle repose son livre et de redire que les traces de la comédie du moyen âge se retrouvent « persistantes, quoique affaiblies, en pleine Renaissance, et jusqu’au plus beau temps de la comédie classique ; » que « la farce, la sotie, la moralité, se survivent à elles-mêmes, sous des noms nouveaux, sous des formes rajeunies ; » que « les plus illustres de nos auteurs comiques modernes doivent quelque chose à la comédie du moyen âge, qu’ils n’ont jamais lue peut-être, » car « l’analyse des caractères nous vient des moralités, l’esprit frondeur nous vient des soties, mais avant tout, la franchise comique et cette naïveté, cet effort vers le vrai dans la peinture du ridicule, qui sont les meilleures qualités de nos bonnes comédies, nous viennent en partie des farces. »

J’ai tenu à présenter au complet toute cette argumentation, parce que, à mon sens, elle contient deux ou trois des plus graves erreurs qu’une faveur excessive pour la littérature du moyen âge ait mises en circulation, et qu’il importe grandement de les réfuter,

  1. Ceci serait à examiner de près. M. Aubertin remarque qu’il n’y eut à aucun moment du moyen âge une interruption complète de la culture et de la tradition latines.