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des Deux amoureux récréatifs et joyeux, de Clément Marot ; mais n’est-ce pas sortir à la fois du domaine de la comédie et de celui du moyen âge ? Avec Maistre Mimin, qui appartient encore au XVIe siècle, la farce avoue que l’amour vaut mieux qu’une science pédante pour faire l’éducation d’un homme et le polir. C’est encore au temps de François Ier, chez Marguerite d’Angoulême, reine de Navarre, que l’on trouve une fine et profonde apologie de l’amour qui, dit-elle, ne donne jamais le bonheur espéré, et qui passe vite, mais dont les souffrances mêmes sont délicieuses, et des femmes, qui, dans leurs fautes, sont plus à plaindre qu’à blâmer.

On le voit, c’est surtout le XVIe siècle qui ménage les transitions pour amener la littérature comique à une autre conception de l’amour. Telle que nous la trouvons au siècle suivant, de Scarron à Regnard, à travers Molière, cette conception est radicalement différente. L’amour, qui tenait si peu de place dans les pièces du moyen âge, est maintenant le cadre obligé, souvent le fond de toute comédie. Il intéresse par lui-même ou prête son intérêt aux autres sentimens. Dans chaque comédie nouvelle, il y a une intrigue amoureuse, indiquée dès le début, développée à travers l’action et vers le dénoûment de laquelle marche toute la pièce : l’amour est contrarié ou favorisé par les autres sentimens, mais toujours il exerce sur eux son action, au moins autant qu’il reçoit la leur. Il s’agit de nous faire connaître deux amans, de nous intéresser à eux, de nous faire désirer leur bonheur ; les passions diverses qui s’agitent autour d’eux reçoivent d’eux leur raison d’être et leur intérêt. Non-seulement le rôle et l’importance de l’amour ont changé, mais sa nature même. L’instinct qui le dominait est réduit à un rôle secondaire par le sentiment, c’est-à-dire par la passion et la galanterie. Il est délicat, respectueux, ingénieux, source de toute élégance et de toute politesse. Les femmes qui l’inspirent conservent les traits permanens de leur nature, la finesse ou même la ruse ; elles ne sont pas toujours très franches, mais elles ont de la délicatesse, une réserve relative, souvent de la sincérité. On les flatte, on les respecte, on les adore, et elles sont dignes de ces égards. Avec leurs traits communs, ces amoureuses forment une galerie variée et charmante de figures féminines, vraie d’une vérité générale ou particulière, riche de types généraux et de physionomies individuelles, alors que celles-ci sont tout à fait absentes de la littérature comique du moyen âge, qui n’a su peindre aucun caractère de femme ; ingénues ou coquettes, sentimentales ou hardies, elles représentent vraiment la femme française, à une époque déterminée de son histoire et de notre civilisation. Dans le mariage, beaucoup d’entre elles sont déplaisantes et vicieuses, puisque la