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écartelé par Villon, sur laquelle s’appuie M. Petit de Julleville ; de même, à divers degrés, mais de façon encore plus évidente, le tour joué par Panurge à la dame de Paris, la noyade des badauds parisiens au pied de Notre-Dame, la mort du prêtre Tappecu, etc. Au demeurant, la pitié et l’humanité, le respect de la souffrance et le sentiment de la solidarité humaine, absens au moyen âge, sont déjà dans Rabelais et assez sensibles. S’il y a, dans Molière, des spectacles dont il ne songe qu’à rire et qui sont vraiment pénibles pour nous, d’abord, ils sont assez rares : je ne vois guère en ce genre que l’aventure d’Amphitryon et celle de George Dandin. Mais, pour Amphitryon, l’éloignement mythologique et l’évidente vraisemblance du sujet, comme aussi la délicatesse de l’exécution, atténuent considérablement l’impression pénible qui pourrait en résulter. Quant à George Dandin, il est malheureux et il souffre ; mais, outre que son malheur est mérité par sa sottise, nous sentons, derrière la raillerie, quelque pitié pour le pauvre diable, assez nettement indiquée pour que, de nos jours, l’acteur croie servir la pensée du poète en s’efforçant de la faire sortir et, pour cela, de tourner le sujet à la tristesse. Quant à Regnard, il s’amuse et nous amuse avec des invraisemblances, qu’il ne prend pas au sérieux et que nous n’y prenons pas plus que lui : la persécution barbare infligée par Lisette et Grispin au vieux Géronte, qui en meurt, dans le Légataire universel, n’est qu’imagination plaisante et si, en ne s’arrêtant pas devant la mort, elle accuse une faute de goût, elle ne dénote pas un manque de cœur, car le poète n’a cru un instant ni à la réalité, ni à la possibilité de son sujet ; c’est de la fantaisie plus ou moins délicate, mais de la fantaisie pure. Ainsi, cette dureté du moyen âge, cette cruauté dans l’observation comique, que rien n’atténue ou n’explique, lui est-elle bien propre, et lui est-elle restée. Nous ne la retrouvons ni au XVIe siècle, ni au XVIIe siècle, encore moins au XVIIIe siècle, le siècle de l’humanité.

Il en est de même pour la grossièreté de l’amour, le mépris des femmes et la satire du mariage. Est-il même possible de trouver l’amour dans la littérature comique du moyen âge ? Il y a certes, et largement, l’exercice de la bonne loi naturelle, presque toujours poussée jusqu’à l’obscénité dans les idées, sinon dans les actes qu’il inspire, et encore plus dans les termes qui le désignent et les plaisanteries qu’il provoque ; mais l’amour lui-même, c’est-à-dire ce que, pour son honneur, la nature humaine tire de son esprit et de son cœur pour l’ajouter à l’instinct, c’est-à-dire le choix et la tendresse, ne se trouve pas plus dans les farces que dans les moralités et les soties. Quant aux femmes, le moyen âge ne les voit guère d’un autre œil que le