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originale. Depuis le XIIIe siècle jusqu’à nos jours, on peut suivre, dans cette histoire, l’éclosion, puis le développement et les modifications nombreuses, mais lentement ménagées, d’un même genre littéraire toujours identique à lui-même, sous des formes diverses, pendant six cents ans. Ainsi s’explique, en grande partie, l’incomparable perfection où s’est élevé le genre comique en France. » Ceci me semble erroné, mais cela est spécieux et partant digne d’être discuté de près.

Si l’on peut admettre, avec M. Aubertin, que l’esprit de l’ancienne comédie, c’est-à-dire le genre d’observation auquel elle s’appliquait et le genre de ridicule qu’elle en faisait sortir, ont passé dans la comédie classique, il n’en résulte pas que cet esprit soit l’inspiration principale de celle-ci. Il semblerait, au contraire, que, comme tendance et comme objet, la comédie classique s’écarte complètement de celle du moyen âge, qu’elle agrandit le champ de l’observation primitive au point de la déplacer, et que, en fin de compte, l’esprit du moyen âge ne fut qu’une part, et la moins considérable, comme la moins bonne, de son inspiration. Quant à la forme de la comédie classique, elle ne doit rien à celle du moyen âge ; or la forme d’un genre, c’est-à-dire ses limites et ses moyens, n’est-elle pas ce qui lui donne son existence et sa raison d’être ? Mais loin d’admettre, avec M. Petit de Julleville, que la comédie du moyen âge a traversé la renaissance pour se continuer au XVIIe siècle et devenir la comédie classique par une série de modifications qui n’ont pas altéré son essence, je crois que la réforme de Ronsard et de ses amis n’a laissé passer qu’une part de l’ancienne comédie ; que, s’il n’y a pas eu ici comme ailleurs rupture complète avec le passé, il y a eu, du moins, transformation radicale ; enfin que le genre, au lieu de rester identique à lui-même, n’a survécu qu’à la condition de devenir tout autre chose que ce qu’il était. Ce qui revient à dire que la perfection où s’est élevée la comédie dans notre pays, au lieu de s’expliquer par la fidélité de ce genre à ses vieilles origines, se mesure au contraire à l’énergie avec laquelle il s’en est séparé pour se rattacher à un autre point de départ.

Pour établir ce que j’avance, il me suffira d’examiner, avec MM. Aubertin et Petit de Julleville, ce qui constitue l’esprit, la nature d’observation et les formes de la comédie au moyen âge, et de rechercher ensuite ce qui en est resté dans la comédie du XVIIe siècle. Si je trouve que celle-ci n’a rien retenu de ce qu’il y avait d’essentiel dans ces divers élémens et qu’elle l’a remplacé par des élémens non-seulement nouveaux, mais différens, non-seulement différens, mais opposés, ma démonstration sera faite.