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LES DUPOURQUET.

— Des jacquez Saint-Sauveur, et des herbemonts d’Aurelle, n’est-ce pas ? Le fruit est-il aussi remarquable qu’on veut bien le dire ?

On les chuta vigoureusement, — Thérèse, installée au piano, attaquait les premières mesures des Variations sur Malborough, tandis que George, assis près d’elle, se disposait à lui tourner les pages.

Ce fut, après quelques phrases relativement calmes, un grondement d’orage qui secouait le clavier sur ses rondelles de cristal, le tonnerre se répercutant d’échos en échos dans les cordes graves, les plaintes aiguës du vent gémissant à la partie haute, une pluie de notes qui tombaient pressées, innombrables et confuses, dégoulinaient les unes sur les autres dans un clapotis monotone d’averse.

Et au plus fort du vacarme, les auditeurs redressaient la tête, se regardaient avec une stupeur admirative. Des exclamations se croisaient :

— Eh bé ! parlez-moi de ça au moins !

— Elle remue les doigts bien à mon aise !

Après le dernier accord et comme les applaudissemens s’apaisaient, Pidancier déclara rondement :

— Vous me croirez si voulez, mais je serais bien en peine d’en faire autant !

Maintenant, c’était M. Boutarel qui se faisait traîner au piano avec des timidités mignardes, les habituelles hésitations d’une modestie souvent mise à l’épreuve.

Appelé à rédiger le contrat de Thérèse, il avait fait contre mauvaise fortune bon visage, s’était exécuté en garçon pratique qui, d’amoureux déconfit, se retrouve parfait notaire.

L’aînée des demoiselles Lacousthène, son accompagnatrice ordinaire, le pressait de choisir dans la musique éparse, faisait successivement défiler sous ses yeux toutes les chansonnettes de son répertoire comique ; alors d’un geste las, il désigna une romance dont la gravure représentait un monsieur assis sur un rocher, l’air rêveur, regardant en lui-même le passé symbolisé par une forme vague qui planait au-dessus de sa tête ; et d’une voix profonde, il annonça le titre : Elle est au ciel !

Il avait choisi ce morceau à dessein, voulant par une inspiration délicate exprimer ainsi ses regrets ; et sur la dernière noie expirante de l’introduction, il chanta :

Quelle est donc cette fête au sein de la nature ?…

Il y avait là de la stupéfaction et de la colère. Avec un hoche-