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LES DUPOURQUET.

de Guiterondc, ramassés en un coin, collés les uns aux autres, formant un groupe ébaubi et muet.

On attendait encore les Lacousthène de Mazerat, le docteur Bosredon et quelques notables de Salviac, conseillers municipaux ou membres de la fabrique.

Après de sommaires salutations, les hommes s’éclipsèrent allant fumer dans le vestibule, à l’exception du baron et de Génulphe que leur vice discret de priseurs laissait auprès des dames ; et, tandis que d’un côté on parlait agriculture, chasse ou polémiques locales, le baron, très en veine, entamait une conférence politique, révélait à son auditoire féminin le comte et la comtesse de Paris, la pureté de leurs intentions, la grandeur de leurs vues, s’indignait contre cette proscription inique qui les jetait hors du pays, comme des traîtres, les frappait jusque dans leurs enfans, privés du droit de servir la France.

Génulphe dissimulait avec peine son inquiétude. Cette apologie de la royauté chez lui, Dupourquet, qui ne devait son écharpe de maire qu’à l’élasticité de ses principes, à son joU talent d’équilibriste sur la corde raide de l’opinion, le gênait extraordinairement. Il se hasarda à dire, à cause des Pidancier qui étaient de méchantes langues :

— Oui, sans doute, mais c’est une mesure de paix intérieure, une loi de tranquillité…

— Eh ! monsieur, quelle est donc la loi qui puisse empêcher un Français qui n’a pas déchu, d’être en France ! on amnistie bien les canailles, pourquoi garderait-on rancune à ceux dont les ancêtres ont fait glorieuse notre histoire ! Tenez, prenons ces dames à témoin, les femmes sont meilleurs juges que nous, en matière de justice nationale…

Elles se récusèrent gauchement. Mme Brassac par prudence professionnelle, les autres par modestie ; seule, Mme Pidancier ahurie, mais conquise, murmura poliment :

— Pardi, c’est bien sûr !

Maintenant les hommes effectuaient leur rentrée, attirés par les liqueurs, que Thérèse offrait gentiment, en consultant les goûts : Cognac, chartreuse, cacao ?

Et tous, à contre-cœur, par politesse, demandaient de la Crème d’estragon, une pommadeuse invention des Dupourquet, qui leur valait chaque lois des appréciations étranges :

— Excellent ! Parfait ! on a le parfum du géranium-rosa dans la bouche…

— Tiens ! c’est particulier ; moi je trouve que ça a plutôt un arrière-goût de basilic !…

George s’était déjà rapproché de Thérèse et l’aidait à faire les