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REVUE DES DEUX MONDES.


XVI.

On signa le contrat avant dîner, dans l’intimité la plus stricte ; deux notaires, les témoins et l’abbé Roussillhes, les Dupourquet l’ayant décidé ainsi par délicatesse à l’endroit des d’Escoublac, pour que George n’eût pas à souffrir dans sa fierté de gentilhomme pauvre, prétendaient-ils, mais en réalité pour s’éviter à eux-mêmes de blessantes critiques, le venin des regards échangés, la morsure profonde des sourires devant cet aveu naïf de leur orgueil.

On avait également écarté le Terrible, comme un aïeul gênant, rappelant trop les origines de la famille, au moment où Thérèse allait « entrer dans la noblesse. »

Et relégué dans la cuisine, vêtu quand même de ses plus beaux atours, le vieux exultait comme s’il eût occupé là-bas, au salon, la première place.

Tout son bonheur se manifestait en une curiosité respectueuse, à distance, en de furtifs regards coulés au travers des portes entr’ouvertes, laissant voir l’appareil sévère du contrat ; la table flanquée des deux notaires et tout autour, des gens en noir, l’air macabre, écoutant leur récitation nasillarde. — Puis quelques instans plus tard, le coup d’œil joyeux et vivant du dîner, le couvert étincelant, les faces rougeaudes et gourmandes des convives, encadrées dans les fleurs.

C’était pourtant à lui, le Terrible, que l’on devait tout cela, à son énergie, à sa sobriété et à sa sagesse ; et il n’en tirait vanité aujourd’hui que devant cette valetaille affairée qui le coudoyait, lui rapportait entre deux plats les réflexions gracieuses de la baronne, l’appétit obligeant de M. d’Escoublac ou les bénédictions réitérées de l’abbé Roussillhes.

Quant à Julien, lui, bien plus stylé, il mangeait à un bout de table tout contre la porte, pour être plus à même de veiller au service et de déboucher les vins.

On en était à l’entremets, une crème frite qui valut à Mme Dupourquet d’unanimes éloges lorsque Catissou vint annoncer en sourdine que les invités pour la soirée commençaient à arriver. — Aussitôt, pour se concilier toutes les sympathies, le baron proposa de lever la séance. On se rattraperait le lendemain, prétendait-il, au vrai repas de noces qu’il voulait pantagruélique et très long avec des chansons au dessert, selon les vieux usages.

Et tous l’approuvèrent chaudement, ravis de le trouver si simple et si « bon enfant » malgré ses grandes manières.

Au salon, il y avait déjà la famille Brassac, cérémonieuse et triste, portant le deuil de ses espérances déçues, et les Pidancier