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REVUE DES DEUX MONDES.

Elle continuait au Vignal sa vie de la pension, ayant prévu dans un tableau de travail sévèrement compris, et calligraphié sur une ardoise accrochée à la tête de son lit, l’emploi de toutes les heures de la journée, depuis la prière du matin jusqu’à la lecture spirituelle dans laquelle elle donnait le soir, avant de s’endormir, sa dernière pensée à Dieu.

Elle avait disposé sa chambre en cellule, multipliant autour d’elle sur les murs des images de piété qui semblaient le triomphal cortège de deux grandes gravures se faisant lace et représentant, l’une la nativité de Notre-Seigneur, l’autre les saintes femmes au pied de la croix ; la première entourée du cordon bleu des enfans de Marie, la seconde d’un chapelet de Lourdes dont les grains fouillés d’un jaune ivoirin ressemblaient à de petites têtes de mort représentant les dizaines.

À la grande satisfaction de Mme Dupourquet, dont l’embonpoint avait amolli les forces, et qui maintenant se laissait vivre, n’ayant plus qu’à balancer affirmativement sa tête, souriante à la façon des magots d’étalage, Thérèse avait pris en mains le gouvernement de la maison, commandait les repas, rangeait les armoires, tenait la correspondance, et inscrivait toutes les opérations au grand livre.

Autour d’elle ce n’était plus de l’admiration, mais du respect. Les domestiques, matés par ses exigences, désarmés par sa douceur, allaient partout chantant ses louanges, les sœurs de Salviac la comparaient à leur mère supérieure du couvent de Saint-Lié, et l’abbé Roussillhes, curé de la paroisse, en parlait à ses confrères dans les dîners de conférence, la citait comme la pénitente la plus remarquable, l’âme la plus blanche qu’il eût jamais été appelé à diriger.

— Un ange véritablement, messieurs ! modeste et simple malgré sa fortune, comme une de ces prédestinées très humbles qui sont un jour devenues des saintes. Elle fait plus de bien par son exemple que moi avec mes sermons de toute une année !

Pieuse, elle l’était à coup sûr et sincèrement, mais par éducation, d’une façon presque machinale ; ne voyant dans la religion que l’asservissement des pratiques, l’observance fidèle des lois ecclésiastiques, incapable de comprendre la sublimité des enseignemens, d’avoir vers Dieu un de ces élans de cœur, un de ces embrasemens d’âme qui sont la vraie foi.

On l’avait élevée ainsi à courber la tête et à murmurer des prières auxquelles elle ne s’était jamais avisée de changer un iota, les récitant par habitude ; des mots ajoutés à des mots, et qu’elle bredouillait à la longue dans un recueillement qui ne soupçonnait rien de l’extase.