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LES DUPOURQUET.

et suffisamment longue, mais tout d’un bloc, pas débourrée encore, la gorge et les hanches aplaties par un corset de couvent.

Les extrémités étaient lourdes, des pieds larges et courts aux chevilles trop grosses, des mains très soignées toujours et très blanches, mais d’une masculine ossature, rappelant de loin l’énorme patte, la redoutable poigne du Terrible.

Elle était paysanne de lignes et paysanne d’allures, bien plutôt faite, semblait-il, pour porter le caraco d’indienne et la jupe d’étoffe que son costume à pèlerine— éteignoir des Feuillans, ou ses toilettes par trop panachées et voyantes de demoiselle endimanchée.

La tête seule avait du charme : un front dont on ne pouvait au juste deviner l’étroitesse, envahi, débordé qu’il était par un flot de cheveux bruns mousseux qui papillotaient aux tempes, dévalaient jusqu’aux sourcils en boucles légères. Des yeux largement fendus et très noirs sur un teint d’une pâleur inhabituelle, passagère, où le séjour des Feuillans avait plaqué un peu de la cire blanche des anémies claustrales. Un nez proéminent, bien charpenté et de courbe aquiline, le nez du père, mais en très affiné, perdant son caractère de sensualité bonasse, donnant au contraire à ce visage trop large un certain cachet de distinction altière qui pouvait de loin passer pour de la race. La bouche était grande, bien meublée, avec des lèvres amincies par l’habitude qu’elle avait prise de les pincer en parlant. Mais quand elle s’oubliait un instant, redevenait elle-même, l’enfant qu’elle avait été jadis pour bavarder et sourire, c’était comme deux branches massives de corail enchâssant des perles, un éclatement rouge de fruit mûr sur le blanc laiteux d’une amande.

Dès le lendemain de son arrivée au Vignal, Thérèse fut prise d’une fièvre d’activité qui émerveillait tout le monde, fixait à jamais dans le sens d’une admiration sans bornes l’opinion toute de contradictions et d’incertitudes, et toujours excessive, que Dupourquet avait gardée jusque-là de ces dames des Feuillans.

Aujourd’hui, il s’avouait à lui-même et proclamait bien haut qu’elles étaient les seules capables de comprendre et de parfaire ainsi une éducation, développant à un égal degré chez leurs élèves et les usages du monde et les qualités de foyer, les seules capables de réserver aux parens cette récompense ineffable de se sentir un jour, devant leurs enfans grandis, d’une intelligence et d’un esprit bien secondaires, d’une essence bien inférieure.

Par le fait, Thérèse semblait avoir pris à cœur de mettre en pratique, pour la plus grande édification de ceux qui l’approchaient, tout ce qu’on lui avait appris.