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LES DUPOURQUET.

Génulphe avait donc été élevé à Prayssac chez des prêtres, et plus tard au collège deCahors où il était allé péniblement jusqu’en troisième, faisant toujours partie de ce groupe de traînards qui flâne à l’arrière-garde de chaque classe, et qu’un professeur en veine de barbarismes avait un jour baptisé au milieu de l’hilarité générale : la gens cancrina.

À l’époque de la conscription on cassa un pot de grès pour lui acheter un remplaçant, et plus tard, quand vint pour lui l’âge de s’établir, après avoir soulevé comme Asmodée le voile des intimités familiales, flairé les intentions et soupesé les dots, le Terrible lui assigna la fille d’un riche marchand de bœufs, M"° Zulma Bissol, autour de laquelle une nuée de bourgeoisillons anxieux montaient la garde.

11 l’épousa, et alors la fortune des Dupourquet prit véritablement son essor, les cruches se vidèrent, et leur contenu s’éparpilla sur le pays en une pluie d’or qui se fécondait elle-même. — Le personnel d’exploitation fut triplé, la maison, une bâtisse trapue et noire où l’on entrait de plain-pied et qui ne contenait que quatre pièces, reçut des modifications importantes et s’appela le Château du Vignal, et, à la naissance de Thérèse, un horticulteur de Cahors vint dessiner un parc longé de charmilles et planté d’arbres verts que l’on appela le « jardin anglais. »

À cette occasion, dans un bel élan d’aïeul satisfait, le Terrible abdiqua entre les mains de son fils. Il était engourdi par les rhumatismes du reste, ne se sentait plus la force d’être le chef, puis la mort de sa lemme, emportée quelques années auparavant par un chaud et froid, l’avait frappé, rendu craintif et prudent pour lui-même : il se contenta désormais de se promener tout le jour en donnant des conseils, et de dormir le soir dans la cuisine au coin du feu, après avoir conté aux valets ensommeillés ses hauts faits de jadis.

De par cette tendance des générations modernes à s’affiner, à s’aristocratiser selon la loi du bien-être devenu un besoin social, Thérèse fut élevée en demoiselle, avec l’obsession jalouse chez le père et la mère, de faire de leur fille une personne exceptionnelle, qui eût un ton de duchesse, des talens variés, une modestie de sœur converse, et grasseyât un peu en pinçant les lèvres, ce qui dans le midi, où l’on vibre à pleine gorge, est le signe d’une éducation parfaite.

À cet effet, les Dupourquet, imbus de cette idée que plus loin on va et plus on doit s’instruire, l’avaient tenue cinq ans aux Feuillans de Bordeaux, la « maison » par excellence, où à côté de principes religieux inébranlables on donne le langage, le ton et les usages du monde.