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La papauté est là, entre les armées près d’en venir aux mains, qui nous montre dans l’Évangile les conditions de la paix, d’une paix qui dure ; — mais, faut-il le dire ? à son attitude, on sent que l’Église se fait peu d’illusion sur le succès de sa mission pacificatrice. Du train dont va le monde, les apôtres eux-mêmes, ceux qui, depuis des siècles, lui parlent de paix et d’amour, n’osent plus guère espérer le voir se ranger à leurs enseignemens. Ils ressemblent aux pères qui font, à leurs fils prodigues, la leçon de l’affection et de la sagesse, sans grande confiance d’être écoutés. Ainsi paraît-il en être de l’Église et du pape ; ils nous exposent la vertu sociale du christianisme, et, après nous avoir montré que l’Évangile seul peut nous sauver, ils se prennent, eux aussi, à regarder autour d’eux pour voir s’il n’y aurait point quelque autre moyen de salut ; car ils sentent, tout les premiers, l’insuffisance pratique du divin spécifique préconisé par eux ; — non qu’ils aient cessé de le croire efficace, mais parce qu’ils savent que nous aurons à peine le courage d’en approcher nos lèvres, et que, pour ne point lui faire détourner la tête, il faut présenter à notre démocratie une potion qui répugne moins à ses sens. Et ainsi, après nous avoir prouvé qu’il n’y a d’espérance, pour nous, que dans un traitement spirituel, dans la religion et dans le Christ, le pape vient à chercher ce qu’on peut bien attendre des remèdes humains. Puisque les sociétés ne lui prêtent qu’une sourde oreille, l’Église, ici aussi, examine jusqu’à quel point il est loisible de faire appel au bras séculier. La force morale, par la perversité de l’homme, se montrant insuffisante, il faut bien essayer de la force matérielle. C’est ainsi que l’Église, se reconnaissant impuissante toute seule, se retourne vers son ancien allié et son vieux rival, l’État, lui demandant ce qu’il peut bien faire pour parer à l’égoïsme des hommes. Le monde ne voulant pas se soumettre volontairement à la justice, l’autorité publique l’y peut-elle contraindre ? C’est là, en somme, le grand problème de notre temps, le problème capital des démocraties modernes. La papauté, aussi, se l’est posé ; il nous reste à voir comment elle l’a résolu.


ANATOLE LEROY-BEAULIEU.