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saurait se passer d’autorité morale, de principe moral ; et, pour nos nations européennes, il n’en est guère en dehors du christianisme. La première pierre de la réforme sociale, comme le répétait jusqu’à satiété Le Play, c’est le Décalogue. En dehors de ce fondement, rien de solide. Il faut aux sociétés une base morale, et c’est précisément ce qui manque à la nôtre. Elle est pour ainsi dire en l’air, elle ne porte sur lieu qui la soutienne. Elle reposait sur l’Évangile, qu’on lui a enlevé, et que rien ne remplace. A toute société, il faut un lien social qui en rattache et en rapproche les membres. Or, nos sociétés contemporaines tendent à n’avoir d’autre lien que les intérêts matériels, et les intérêts matériels séparent plus qu’ils n’unissent. Certes, pour le savant, pour le penseur, les intérêts sont le plus souvent connexes. Ils sont solidaires ; mais les masses ne le voient pas, et l’individu ne le sent point. Nos sociétés se montrent divisées contre elles-mêmes ; et, l’Écriture l’a dit : toute maison divisée contre elle-même croulera. Voilà ce qui trouble nos yeux et nos cœurs, quand nous essayons de scruter l’avenir de notre présomptueuse société moderne. Le principe de son mal est plus moral que matériel, et elle se refuse à le voir. Le flot grossissant des convoitises monte autour de nous, il menace de nous submerger. — « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ! » sommes-nous tentés de nous écrier, comme les disciples sur la barque couverte par la vague. Le Christ seul peut faire tomber le vent et calmer la mer ; et le monde ne le sent point ; et le siècle ne veut pas le croire ; et, loin de le comprendre, les gouvernemens qui s’intitulent progressistes s’efforcent d’arracher le Christ aux masses. Il n’y a que le sentiment religieux qui puisse soutenir la société ; qui, non content d’enseigner la fraternité, sache l’inspirer ; qui puisse nous souffler ce qu’il y a de plus difficile aux hommes, partagés, par classes, en camps ennemis : la charité sociale, l’amour des classes les unes pour les autres ; il n’y a que lui, en un mot, qui puisse nous rendre la paix sociale ; et nous voyons des conducteurs de peuples, aveugles qui conduisent des aveugles, s’ingénier à déraciner, chez les couches populaires, la foi en Dieu et l’espérance au ciel. C’est là ce que j’oserai appeler le péché contre le peuple ; c’est le crime social. — Il n’y a qu’un remède à nos maux, et ce remède, les médecins, assis au chevet du malade, le rejettent dédaigneusement ; ils repoussent le seul traitement efficace pour lui appliquer un régime tout contraire.

La paix sociale ! le christianisme seul peut nous l’apporter ; en dehors de lui, il n’y a que la guerre de classes ; et la guerre de classes, nous y marchons ; la guerre de classes, nous l’avons déjà !