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autres, vous ne sauriez leur trouver de solution en dehors de Dieu et de la religion. Sans Dieu, tous les efforts des hommes seront vains, inania conata hominum.

Le pape a raison. Si suranné, si démodé que semble le remède qu’il nous propose, c’est encore le plus sérieux qu’on nous puisse offrir. Veut-on un spécifique, je n’en sais pas d’autre ; tous ceux qu’on nous vante d’ailleurs sont plus dangereux qu’efficaces. Dieu seul pourrait nous rendre la paix sociale ; à son Christ seul appartient de nous dire le Pax vobiscum. Tout l’art, toute la science des hommes, y échoueront. Il n’y faut rien moins que l’intervention divine, — et c’est pour cela que l’état de nos sociétés est si grave. Un philosophe a dit que Dieu avait fait son temps et que l’heure était venue de le reconduire à la porte de nos cités, car le monde moderne n’avait plus de services à recevoir de lui. L’insensé ! jamais la société n’a eu plus besoin de Dieu et de l’Évangile. L’humaine solidarité dont rêve cette société industrielle, l’Évangile seul la lui peut apporter ; il lui peut seul enseigner la vraie fraternité, qui, au ciel, a nom charité. L’Évangile a pour cela d’autres ressources que la vaporeuse religion de la souffrance humaine, ou le culte vide de l’Humanité, — une assez vilaine déesse, après tout. — Il y a dans le christianisme une mystérieuse vertu sociale. La religion, un pape a le droit de s’en glorifier, a ce qui fait défaut à la loi ou à la science ; seule elle a, pour entrer dans les âmes, pour y planter la justice et l’amour « des instrumens qui pénètrent jusqu’au fond du cœur. »

La vertu sociale du christianisme, est-il besoin d’encyclique pour la démontrer ? Irons-nous contredire le pape quand il nous affirme que c’est, de toute manière, par ses enseignemens, par l’éducation chrétienne, par la prédication, par l’exemple, par ses œuvres, que l’Église contribue à l’apaisement des conflits dans la société ? Qu’avons-nous à objecter quand Léon XIII nous rappelle que le christianisme a ennobli la pauvreté et réhabilité le travail ? Le travail manuel que le monde antique ne concevait que sous la forme d’un esclave, le christianisme l’a mis sur ses autels sous la forme d’un Dieu. Car, dit le pape aux ouvriers, le dieu-homme que nous adorons a été lui-même ouvrier ; c’était un des vôtres, il a voulu passer pour le fils d’un artisan ; il a vécu, la plus grande partie de sa vie, du travail manuel, opere fabrili. Ainsi envisagé, le christianisme, en effet, est une sorte d’apothéose du travail et du travailleur[1]. Je ne sais plus le nom de ce moine du moyen âge qui

  1. La dévotion moderne a rendu cela encore plus sensible par le culte spécial rendu aujourd’hui à saint Joseph, le traditionnel charpentier de Nazareth.