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est peut-être encore celle où l’initiative individuelle, — partout le grand ressort du progrès, — garde le champ le plus large. On ne lui demande guère que de ne pas franchir les limites du dogme. L’individu, sous le nom de, saint ou de bienheureux, a toujours dans l’Eglise joué les grands rôles, sans même avoir besoin pour cela de titres ni de dignités. Nulle part peut-être le plus humble des hommes ne peut exercer une action aussi lointaine et aussi profonde. Le XIXe siècle en a fourni plus d’un exemple, et, phénomène presque nouveau dans l’histoire ecclésiastique, ceux qui donnent le branle à l’Église, ceux qui jettent l’idée ou lancent la parole répercutée par tous les échos du monde catholique, ce n’est pas seulement les clercs, les oints, les évêques, les moines, mais, bien aussi, les laïques, les simples fidèles, sans place ni fonctions dans le sanctuaire. Cela est si vrai que, à certains momens, en telle contrée, les pasteurs ont eu l’air d’être conduits par les brebis. Le siècle a ici réagi sur l’Église, et la cité terrestre sur la cité de Dieu. La presse et la tribune ont introduit dans la vie, sinon dans le gouvernement, de la société chrétienne un facteur nouveau. Les hommes habitués, par la politique, à se jeter dans toutes les luttes qui passionnent les peuples ont pris, eux aussi, leur part des combats livrés autour de la religion. Et l’Église a été heureuse d’avoir ses journalistes et ses tribuns. C’est ainsi que jamais, à aucune époque, les laïques n’ont eu plus d’influence dans l’Église ; et, naturellement, avec les laïques, devaient pénétrer dans le sanctuaire les préoccupations du dehors. L’attention et les efforts de la hiérarchie ont dû se tourner vers des questions, en elles-mêmes, plus intéressantes pour la masse des fidèles que pour le corps des pasteurs. Cela seul eût introduit la question sociale dans l’Église.

Autre remarque et autre fait connexe. Dans la société religieuse comme dans la société civile, et dans l’Église, de même que dans l’État, les grandes initiatives partent rarement du gouvernement, de l’autorité suprême. Cela, pour l’Église, a été particulièrement vrai du XIXe siècle. Si nous laissons de côté le dogme, l’impulsion est venue plus fréquemment des membres que de la tête, de la circonférence que du centre ; elle est venue, généralement, d’au-delà des monts ou d’au-delà des mers, si bien que la papauté l’a plus souvent reçue de l’Église qu’elle ne la lui a donnée. Rome n’est pas le moteur dont tout part ; c’est le centre où tout aboutit et qui coordonne tous les mouvemens. Rome, toujours fidèle au vieux génie romain, ne fait souvent que codifier, que réduire en lois et en corps de doctrine ce qui a été pensé, rêvé, prêché, ce qui a été tenté ou élaboré par ses enfans des quatre parties du monde. Ainsi a procédé le siège romain pour la question sociale. Léon XIII, cédant aux pieuses instances de ses fils, a rédigé en