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encore, l’initiative semble être partie de la France. Le « catholicisme social, » tout comme le « catholicisme libéral, » a eu ses premiers représentans chez nous ; mais, dans notre France, il est longtemps resté à l’état d’aspiration vague. C’est à l’étranger, en Allemagne surtout, qu’il a pris corps, et c’est de l’étranger qu’il nous est revenu. La Mennais, l’homme du siècle, peut-être, dont l’action dans l’Église a été la plus profonde, n’avait pas attendu sa rupture avec Rome, pour s’éprendre de la question sociale. Le fougueux Breton entrevoyait le parti qu’en pourrait tirer l’Église pour le triomphe du nouvel ultramontanisme, rêvé par lui sous les ombrages de La Chesnaie. A ses yeux, déjà, la question sociale était, à la fois, le but et le moyen. Pour mettre la papauté à la tête du mouvement démocratique, il lui demandait, suivant les conseils de Saint-Simon, de se faire, devant le monde, le porte-voix des revendications ouvrières. C’était là un des points du hardi et confus programme de l’Avenir, un des articles de foi du nouveau credo que l’auteur de l’Essai sur l’indifférence eût voulu greffer sur l’ancien. Pour le vertigineux agitateur, la réforme sociale devait accompagner les libres institutions démocratiques que la papauté émancipatrice allait apporter au monde. Il annonçait hautement, dans l’Avenir, que, « à moins d’un changement total dans le système industriel, un soulèvement général des pauvres contre les riches deviendrait inévitable. » Il voyait déjà « la société bouleversée de fond en comble périr dans d’effroyables convulsions[1]. » Pour lui, il n’était pas douteux que l’Église ne dût se tourner du côté des faibles et des petits, et se faire l’avocat des multitudes souffrantes. Et, lorsque la papauté, sommée de se déclarer, refusait de le suivre, le fougueux abbé dénonçait, dans son langage apocalyptique, le pape et les prêtres comme traîtres à l’Évangile et apostats de la loi de charité, pour s’être ligués avec les tyrans et les despotes contre les faibles et les opprimés, les pauvres et les petits que Jésus était venu sauver. Cette idée, chez La Mennais, était déjà entrée si avant que, une fois le prêtre disparu, il ne resta, du nouveau père de l’église, qu’un démocrate socialiste. On sentait, dès longtemps, ce dernier couver sous l’apologiste ; il fit éruption dans les Paroles d’un croyant.

Un tel parrain devait porter malheur à ses filleuls. L’intempérante éloquence de La Mennais était faite pour compromettre toutes les causes qu’elle plaidait. La trace de ses tendances sociales et démocratiques resta, cependant, toujours visible chez son grand disciple, Lacordaire. Et l’on en distinguera et là, des vestiges chez bien d’autres, dans les deux groupes rivaux entre lesquels se

  1. L’Avenir, 30 juin 1831.