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paraissant parler de tout avec confiance, n’a pas laissé d’être un peu énigmatique et même embarrassé sur quelques points. Il n’a été surtout rien moins que clair, rien moins que précis au sujet de l’Orient, où l’Autriche a certainement plus que toute autre puissance des difficultés de politique, parce qu’elle a de ce côté ses ambitions, ses intérêts, ses entraînemens, ses points vulnérables.

Chose à remarquer ! M. de Kalnoky, en distribuant les bonnes paroles ou les censures aux jeunes États des Balkans, prétend que « l’objet de la politique autrichienne en Orient est d’assurer à tous ces États leur libre développement dans les limites des dispositions du traité de Berlin. » Rien, certes, de plus net, de plus correct en théorie. Quel est cependant celui de ces États des Balkans auquel la politique autrichienne réserve ses complaisances, ses encouragemens et ses faveurs ? C’est en vérité celui qui, depuis des années, s’est mis en dehors du traité de Berlin, dont le régime extra-diplomatique et révolutionnaire n’a cessé de provoquer les protestations de la Russie, et reste un trouble en Orient, une difficulté entre les cabinets de l’Europe : c’est la Bulgarie ! M. de Kalnoky est plein d’indulgence pour la Bulgarie. Il ne lui promet pas, par exemple, de la secourir, de faire de son prince Ferdinand un prince légal, reconnu par l’Europe : il craindrait de « relever une question périlleuse » et d’aller au-devant d’un échec. Il engage du moins la petite principauté à ne pas se décourager, à tenir ferme, à attendre les événemens ; il la flatte même, il trouve sa « situation bonne, » — et, par une curieuse coïncidence, M. de Kalnoky choisit, pour parler ainsi, le moment où la Bulgarie semble livrée à une sorte de terreur intérieure organisée par le ministre dictateur, M. Stamboulof : de sorte que les préférences avouées de la politique autrichienne sont pour un État dont l’existence est une violation du traité de Berlin, un défi pour la Russie et un assez triste spécimen d’anarchie intérieure. C’est là précisément le point vif, c’est par là que ces affaires bulgares ont un intérêt européen, et ce n’est peut-être pas sans raison qu’un des membres des délégations austro-hongroises, M. de Czernatony, a dit que si la guerre devait éclater, elle éclaterait à la frontière orientale plutôt qu’à la frontière occidentale de l’empire. M. de Kalnoky signalait récemment comme un des dangers du temps la contradiction saisissante entre ce désir de paix qui se manifeste partout et les armemens croissans. Que dit-il de cette autre contradiction entre la prétention qu’a la triple alliance d’être la première gardienne de la paix et l’obstination à entretenir en Orient un foyer où peut toujours s’allumer la guerre ?

C’est l’affaire des grandes puissances de se tirer de leurs contradictions, de résoudre les questions de politique générale qui les divisent, de régler leurs intérêts, leurs alliances, d’où dépend la paix de l’Europe, la paix de tout le monde. Après cela, tous les pays, grands ou