Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/699

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

je l’ai trouvé assez fort pour servir d’appui dans la tourmente, et j’ai été rassuré… Cette foi, qui me semble rester à tous encore et régner en souveraine dans les armées, c’est l’honneur… Une vitalité indéfinissable anime cette vertu bizarre, qui se tient debout au milieu de tous nos vices… C’est une vertu tout humaine que l’on peut croire née de la terre, sans palme céleste après la mort, c’est la vertu de la vie. » Avons-nous tort de croire que ce panégyrique de « la vertu de la vie, » en achevant de nous expliquer le pessimisme d’Alfred de Vigny, eût achevé aussi de mettre son portrait en place ? Si le pessimisme est dangereux, il ne l’est que pour ceux qui ne l’entendent pas, et, ne l’entendant pas, ne savent pas non plus en dégager ce qu’il contient en lui d’encouragement à l’action.

Que M. Paléologue ne m’en veuille donc point, si je dis que, cette page, j’eusse mieux aimé la relire dans son livre que d’y retrouver la chronique des amours du poète avec Mme Dorval, ou l’histoire encore de sa réception à l’Académie française. La faute en est à Vigny, je le sais ; et sa candidature ou ses candidatures, ses visites, sa réception, Baour-Lormian, Royer-Collard, dans « sa robe de chambre, » avec « la serviette au col du Légataire universel, » M. Molé lui-même, occupent trop de pages du Journal du poète. Sainte-Beuve est survenu là-dessus, dont l’article « célèbre » lui fait à vrai dire moins d’honneur encore qu’à Vigny. Lorsqu’on veut attaquer ses anciens amis, et, pour des « histoires de femmes, » quand on veut leur reprendre les éloges dont on les avait autrefois accablés, on le fait à visage découvert, on n’attend point qu’ils soient morts, et, poète ou écrivain soi-même, on le fait surtout sans trahir la cause de la littérature et de la poésie. Mais, que nous importent à nous, aujourd’hui, ces vieilles histoires, et faut-il qu’elles fassent à jamais partie de la biographie d’un grand poète ? Je ne me rappelle pas en avoir trouvé trace dans l’article de M. Faguet. Je n’y en ai point trouvé non plus de Mme Dorval ; et à ce propos, comment M. Paléologue n’a-t-il point vu que, de chercher dans le malheureux dénoûment des amours de Vigny les causes de son pessimisme, c’était faire bien pis que de les attribuer, — comme il a fait un peu bien délibérément celles du pessimisme de Byron ou de Chateaubriand, — à leur simple égoïsme ? Au temps de Moïse et d’Éloa je ne sache point que Vigny connût Mme Dorval, et puis… quand en finirons-nous de composer l’histoire des « grands écrivains de la France » avec le récit de leurs petitesses ?

Aussi ne reprocherai-je point à M. Paléologue d’avoir ou rejeté tout à fait dans l’ombre, ou à peine indiqué quelques côtés tout à fait déplaisans du caractère de Vigny. Sa morgue, cette hauteur d’estime où il était de lui-même, cette « réserve polie des manières du grand monde » qui n’est souvent qu’une forme du dédain, et ce qu’il semble