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la Colère de Samson, de la Maison du berger, ne périront, s’ils doivent périr, qu’avec la langue française ; ceux-ci, par exemple, qui sont dans toutes les mémoires :


S’il est vrai qu’au Jardin sacré des Écritures
Le Fils de l’homme ait dit ce qu’on voit rapporté ;
Muet, aveugle et sourd aux cris des créatures,
Si le Ciel nous laissa comme un monde avorté ;
Le juste opposera le dédain à l’absence,
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la Divinité.


Rappellerai-je encore, dans la Maison du berger, cette prosopopée de la Nature à l’Homme ?


Je roule avec dédain, sans voir et sans entendre,
A côté des fourmis les populations,
Je ne distingue pas leur terrier de leur cendre,
J’ignore, en les portant, les noms des nations.
On me dit une mère et je suis une tombe,
Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
Mon printemps ne sent pas vos adorations.


Lucrèce même n’a rien écrit de plus beau, d’une beauté plus sombre ; et Lucrèce n’a pas trouvé l’admirable reprise :


C’est là ce que me dit sa voix triste et superbe,
Et dans mon cœur alors je la hais ; et je vois
Notre sang dans son onde, et nos morts sous son herbe,
Nourrissant de leurs sucs la racine des bois…


Mais, avant d’aller plus loin, et au nom même d’une admiration commune, M. Paléologue me permettra de lui faire une petite querelle. Il a consulté, nous dit-il, pour écrire son livre, les « quatre-vingts cahiers manuscrits sur lesquels le poète a consigné, quarante années durant, le journal de sa vie intérieure ; » et il en a tiré quelques citations d’un singulier intérêt. Il a également consulté les « Mémoires inédits » de Sainte-Beuve, que nous souhaiterons en passant que l’on n’imprime jamais… pour l’honneur même du critique des Lundis. A en juger par les extraits qu’en donne, en effet, M. Paléologue, les Mémoires de Sainte-Beuve nous ont tout l’air de n’être que le journal de ses rancunes rentrées, son roman chez la portière ; et, en vérité, la moitié de sa critique y fondrait, si l’on y voyait, comme on les y verrait, les raisons de ses partialités. Puisque ceux-là ne le disent pas, qui