Page:Revue des Deux Mondes - 1891 - tome 108.djvu/680

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

débrouiller la légende de don Carlos et d’y démêler le vrai du faux. Mais il ne connaissait pas toutes les pièces du procès. Il faut compter parmi les plus importantes la correspondance diplomatique de Fourquevaulx, ambassadeur de France à Madrid, et celle du baron Adam de Dietrichstein, ambassadeur de la cour impériale de Vienne. L’un recevait une foule d’informations par la reine, qu’il voyait souvent ; l’autre entretenait des relations avec les principaux personnages de la cour, sans compter que par son mariage il s’était allié à une grande famille espagnole. Ces deux témoins de grande autorité sont d’accord sur les points essentiels, quoiqu’ils eussent dans cette affaire des intérêts fort opposés. L’ambassadeur de France voyait les avantages que son pays pouvait retirer des malheurs de don Carlos ; que le prince vînt à disparaître, on pouvait espérer que la succession passerait à une des filles qu’Elisabeth de Valois avait données à Philippe II. Quand don Carlos eut été arrêté, Fourquevaulx écrivit à Catherine de Médicis : « Dieu vous aime, madame, et il lui plaira de conduire vos saintes intentions à bon port. » Dietrichstein, tout au contraire, fut consterné par l’événement. On rêvait alors à Vienne de marier don Carlos à une de ses cousines, l’archiduchesse Anna, et on attachait une grande importance à ce projet. On ne se consola que lorsqu’après la mort du prince et d’Elisabeth, Philippe II, libre de se remarier une fois encore, se chargea d’épouser lui-même la princesse qu’on avait regardée quelque temps comme la fiancée de son fils. Ce genre d’aventure n’avait rien qui lui déplût.

Désormais le procès est instruit, la lumière est faite, et sans reparler des travaux bien connus de M. Gachard, il suffit pour s’en convaincre de lire avec quelque attention le livre un peu décousu et parfois un peu confus qu’un professeur d’histoire à l’université de Vienne, M. Max Büdinger, vient de publier sur don Carlos[1]. Quelque défectueuse qu’en soit la composition, l’auteur est un critique si scrupuleux, il s’est donné tant de peine pour éclaircir les questions controversées, et son argumentation est si rigoureuse, que les plus résistans de ses lecteurs finiront par conclure comme lui.

« Au commencement de leur liaison, écrivait Saint-Réal, l’extrême jeunesse de cette princesse ne lui avait pas permis de cacher à don Carlos l’estime et la pitié qu’elle prit pour lui. Mais le temps l’ayant rendue plus savante, elle avait compris que les témoignages d’amitié qu’elle lui rendait, tout innocens qu’ils étaient, ne laissaient pas d’entretenir son amour. Elle lui représentait en toute occasion les conséquences de cette passion et les malheurs où elle les exposait. » Cette

  1. Don Carlos’ Haft und Tod, von Max Büdinger, Professor der Geschichte an der Wiener Universität. Wien und Leipzig, 1891.