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instant le cliquetis des mots qui les expriment, la profusion d’antithèses telles que : art et politique, l’artiste et le bourgeois, le paysan et l’artiste, le peuple et la noblesse, Luther et Lessing, Lessing et Rembrandt, Rembrandt et Berlin, etc., et les allitérations plus fréquentes encore : was Walsch ist, falsch ist ; Stadt und Staat ; Kaiserthum und Christenthum ; Propheten und Professoren ; Epigonen und Progonen ; Musen und Museen, etc., en vérité, on comprend un peu, tout en faisant ses réserves sur l’orthographe du nom, la qualification de « galimatias » qu’adresse à M. Langbehn un autre de ses détracteurs[1]. Tout au moins, dans cette gerbe mal liée, il faut bien reconnaître qu’il entre plus de fleurs parasites et de folles herbes que de bon grain.

A travers ce chaos, cependant, on peut démêler une idée qui persiste et qui, à point nommé, dans les cas embarrassans, sert indifféremment à l’auteur de transition ou de conclusion. Cette idée fixe, à laquelle il ne cesse de revenir, sans en épuiser jamais les divers aspects, c’est la haine de l’esprit prussien, du sous-officier prussien, du professeur prussien. Le Prussien est la cible de M. Langbehn, et pour lui il ne saurait trouver de comparaisons assez blessantes. Ainsi, le Berlinois n’est pas même un barbare ; le barbare est plus près d’un Grec que l’Alexandrin ; le barbare est un enfant bien doué, qui peut se développer, devenir un homme ; l’Alexandrin est vieillard de naissance. A propos de Berlin, « ce désert où ne poussent que des journaux et des briques, » les anecdotes reviennent en foule à l’esprit de M. Langbehn. Il est heureux de pouvoir rappeler l’antipathie de Goethe pour la capitale de l’empire germanique : « Quiconque me conseille d’y aller est mon ennemi, » disait le Jupiter de Weimar. Il ne tarit pas sur le peu d’intelligence des beaux esprits berlinois à reconnaître le génie et à lui faire accueil, et c’est avec un plaisir évident qu’il cite le propos d’une raffinée comme Caroline Schlegel, après une lecture de la Cloche de Schiller : « Nous pensâmes tomber de nos chaises à force de rire. »

Mais entre tous les professeurs berlinois, celui qui excite plus particulièrement la bile de M. Langbehn, c’est M. Dubois-Reymond. A parler franc, celui-là est sa bête noire. Il n’est guère de chapitre où il ne lui assène quelque vigoureux horion en plein visage, ou ne lui envoie, tout au moins, quelque éclaboussure sur sa robe de professeur. A vouloir effacer, à force de gallophobie, l’ancienne origine de sa famille, ce représentant attitré de la science berlinoise a évidemment perdu sa peine. Ces souvenirs lointains sont

  1. Ueber Rembrandt als Ersieher, von einem Erzieher ; Leipzig, 1891, p. 16.