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prétexte. Plus d’une fois au cours des thèses nombreuses et souvent assez contradictoires qu’il y soutient, l’auteur le perd de vue. Il ne revient à lui que comme à un engin de guerre commode pour battre en broché tous ceux qui, parmi les littérateurs ou les savans, ont le don de lui déplaire, et ils sont légion. Ce qu’il dit du maître, ce qu’il en sait, ne dépasse pas de beaucoup ce qu’en peut savoir un homme du monde qui a voyagé, un peu lu, et fréquenté les musées. D’une manière générale, M. Langbehn sent les arts ; il en parle avec goût, avec chaleur, non sans distinction, et quant à Rembrandt lui-même, il a bien compris et il met çà et là en lumière, sous une forme piquante, quelques-uns des traits qui caractérisent son originalité ; son amour passionné pour son art, qu’il conserva au milieu des plus cruelles épreuves et cette naïveté charmante en face de la nature qui, jusque dans ses plus humbles réalités, lui semblait intéressante, enfin ces contacts directs avec le populaire, qu’on lui a tant reprochés et auxquels il ne se lassait pas de demander le renouvellement de son talent. Mais ces idées, justes d’ailleurs, ne témoignent guère chez M. Langbehn que d’une admiration enthousiaste pour son maître préféré. Bien qu’il le propose incessamment comme exemple, il ne connaît de près ni sa personne, ni son œuvre. Pour le peu qu’il s’avance sur le terrain biographique, il commet des erreurs. Ainsi, quand à propos du goût, aussi malheureux que réel, qu’inspirait à Rembrandt l’antiquité classique, il nous cite, comme preuve de ce goût, les noms donnés par lui à ses enfans, celui de Cornélia, — c’était déjà celui de sa mère, — et celui de Titus, — sous lequel ce dernier fut baptisé en souvenir de Titia, la sœur bien-aimée de Saskia, qui devait être sa marraine et qui mourut trois mois avant la naissance de son neveu. — Le nom même de Rembrandt, que M. Langbehn croit une exception, sans être très répandu, était cependant assez usité en Hollande, du vivant de l’artiste. Mais laissons là ces minces chicanes pour passer à l’examen du fond même du livre.

« Ce n’est plus un mystère, nous dit dès le début l’auteur, que la vie intellectuelle en Allemagne s’achemine, lentement suivant les uns, rapidement suivant d’autres, vers la décadence. De tous côtés la science se spécialise. Dans le domaine de la pensée pure, comme dans celui des lettres, les individualités marquantes font défaut ; les arts du dessin, quoique représentés encore par des maîtres distingués, manquent de leur couronnement, la grande peinture n’existant plus ; les musiciens se font rares et les dilettantes sont innombrables. L’architecture est l’axe des arts du dessin, comme la philosophie est l’axe de la pensée scientifique ; et il est clair comme le jour qu’il n’y a plus en Allemagne ni architecture, ni