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Frédéric-Henri, dès la nomination de Constantin au poste de secrétaire des commandemens de ce prince.

Mais là ne s’arrêtent pas les heureuses conséquences qui découlent naturellement du texte découvert par M. Worp[1]. En même temps qu’il m’en transmettait la copie, ce dernier me demandait si j’avais connaissance de ce tableau de Judas, si vanté par Huygens, et dont la trace était perdue. Par une rencontre assurément fort imprévue, j’avais eu l’occasion de le voir deux jours auparavant, à Paris même, chez M. Haro, qui en est aujourd’hui le possesseur. Au premier aspect le caractère rembranesque de la composition, des types et du clair-obscur m’avait frappé ; mais à raison d’une inexpérience encore notoire dans la répartition de la lumière, aussi bien que de certaines gaucheries dans la facture, j’aurais peut-être hésité à attribuer cet ouvrage au maître lui-même, si la figure de Judas n’avait frappé mon attention. Cette figure, je me rappelais l’avoir vue bien des fois en feuilletant l’œuvre de Joris van Vliet, un graveur assez médiocre, mais dont la vie à ce moment s’est trouvée mêlée de près à celle de Rembrandt et à qui nous devons la connaissance de quelques-unes des peintures encore exécutées à Leyde par ce dernier et qui ont maintenant disparu. Gravé par van Vliet en contre-partie et seulement jusqu’à mi-corps, ce Judas porte, avec la date 1634, la mention Rembrandt inventor. En me référant au catalogue de Bartsch[2], j’avais lu la note suivante : « Les éditeurs du catalogue de Gersaint racontent au sujet de ce morceau qu’ils ont vu un beau tableau de Judas rapportant dans le conseil des juifs les trente deniers, prix de sa trahison, et que la tête de Judas y était la même que celle que van Vliet a gravée dans ce tableau. » J’étais donc déjà fixé sur l’attribution, quand le surlendemain la lettre de M. Worp achevait de dissiper tous mes doutes au sujet de l’authenticité de cette peinture, dont les moindres détails s’accordent avec la description que Huygens en a faite, évidemment en présence de l’œuvre elle-même[3]. En dépit des maladresses et des incorrections qu’on y remarque, cette œuvre est très caractéristique, et la figure de Judas suffit à expliquer l’admiration qu’elle avait inspirée à Huygens. Mais, sans

  1. L’autobiographie à laquelle sont empruntés ces détails se trouve à la fin d’un des manuscrits de Huygens que possède la Bibliothèque de l’Académie des sciences à Amsterdam. C’est en préparant une édition de tous les poèmes de son célèbre compatriote que M. Worp a découvert cet opuscule.
  2. Cette planche y est classée sous le n° 22, avec le titre : Homme affligé.
  3. Le tableau, du reste, a été mentionné dans son Catalogue raisonné (n° 90), par Smith, qui ne l’avait pas vu, mais qui le décrit d’après une assez mauvaise gravure qu’un artiste anglais, nommé Dunkarton, en avait faite lorsqu’il se trouvait, en Angleterre, chez I. Fanshawe.