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l’atelier de Lastman, à Amsterdam, il était revenu dans sa ville natale, jouissant du recueillement et de la retraite qu’il s’y était assurés « pour y exercer la peinture seul et à sa guise. Il avait si bien réussi dans son art, ainsi que nous l’apprend le bourgmestre Orlers dans sa Description de Leyde publiée en 1641[1], qu’à cette date, cédant aux sollicitations des habitans d’Amsterdam qui professaient un goût extrême pour son talent, il était établi déjà depuis une dizaine d’années dans cette ville, où il était devenu un des peintres les plus renommés de son siècle. » Dans une autre Description de Leyde, parue en 1672, Simon van Leeuwen ne fait guère que mentionner Rembrandt, et c’est à Orlers qu’il emprunte, en les écourtant, les indications réunies par ce dernier. Mais nous devons à un étranger, un Allemand fixé en Hollande de 1637 à 1642, des renseignemens plus détaillés et qui ont trait surtout à cette période. Artiste lui-même, Joachim de Sandrart a sans doute connu personnellement son jeune et brillant confrère pendant le temps qu’il a passé à côté de lui à Amsterdam, et, à ce double titre, nous considérons comme très précieux les détails qu’il a consignés sur lui dans son Academia nobilissimae artis pictoriae dont le texte allemand paraissait à Nuremberg en 1675 et la traduction latine en 1683. Il est vrai que la naissance de Sandrart et son éducation le mettaient surtout en rapport avec la société lettrée d’Amsterdam, et que ses goûts comme la nature de son talent ne le disposaient guère à comprendre un art aussi en dehors des traditions que celui de Rembrandt. On sent aux jugemens qu’il porte sur lui tous les préjugés d’un académique et d’un italianisant, tous ses griefs contre un homme qui, sans s’inquiéter de ce qu’on appelait alors le grand style, a sa manière personnelle de comprendre les sujets consacrés et de les exprimer. Tout en louant l’exécution du maître, son entente de l’harmonie et du clair-obscur, Sandrart ne peut admettre sa prétention « de ne se soumettre qu’à la seule nature et non à d’autres règles. » Il le blâme, comme peintre, « de s’aider si peu des livres, » de ne jamais viser « à la correction d’un contour précis, » de n’avoir que rarement abordé « des sujets tirés de la poésie antique, allégories ou histoires curieuses, » et comme homme, « de se complaire en des relations avec des gens vulgaires et de condition infime. » Après qu’il eut quitté la Hollande, Sandrart évidemment n’a plus été que mal renseigné sur Rembrandt, car il semble avoir ignoré sa ruine ; mais ce qu’il nous dit de « son activité infatigable, » de ses élèves, des collections de toutes sortes qu’il amassait, est très exact et

  1. Orlers, Beschryving der Stad Leyden, 1641.