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anglais. La Burgher Wehr, force essentiellement hollandaise, resta théorique ; elle n’existe encore, à l’heure qu’il est, que sur le papier et au fond d’un carton scellé à la cire. En même temps, le ministère fut autorisé par un acte des chambres à interdire dans certains territoires, qu’il désignerait, le port sans permis des armes à feu. C’était en perspective le désarmement des noirs. L’exploitation des mines de diamans récemment découvertes attirait alors de nombreux indigènes dans le « Griqualand occidental, » province encore indépendante de la colonie et directement administrée par l’autorité impériale. Il n’y avait pas dans ce pays de loi restrictive du commerce des armes et munitions, comme partout ailleurs, en sorte que les chefs de tribus y envoyaient leurs hommes pour se procurer des fusils avec l’argent qu’ils gagneraient. Une insurrection anodine en Natalie montrait déjà les inconvéniens de cet état de choses, et le ministère, n’ayant pas à intervenir dans le Griqualand, se réservait d’enlever aux nègres, chez lui, les dangereux instrumens qu’on leur vendait, à côté, sous les auspices de l’Angleterre. Ces sauvages, incapables de saisir notre subtile logique, allaient naturellement brûler leur poudre. En 1879, Morosi, chef subalterne de la tribu des Bassoutos, refusa l’impôt et se retrancha sur une montagne. La position était forte avec, de trois côtés, des parois à pic, avec une pente raide que barraient des murs en étagement percés de meurtrières. Néanmoins, de vraies et bonnes troupes auraient pu s’emparer assez vite de cette redoute naturelle, même peu nombreuses. Le cabinet colonial voulut essayer sa yeomanry de fraîche date. L’artillerie comptait cinq pièces, dont un mortier frappé de la légende : « George Rex, 1802, » suspect d’avoir décoré le perron du musée de Cape-Town. Deux attaques échouèrent ; le siège dura onze mois ; il fallut rappeler la yeomanry ; enfin trois cent cinquante Cape mounted riflemen réussirent dans un assaut nocturne avec l’aide de cinq cents noirs et de vingt-cinq francs-tireurs.

Ce n’était qu’un commencement.

On avait à peine entamé cette tribu des Bassoutos, laborieuse et guerrière, une des plus remarquables de l’Afrique du Sud. Elle se souvenait d’avoir jadis ramené à coups de fusil, sur le plateau de Bérée, l’armée anglaise du général Cathcart. La pénible capture du fort de Morosi n’était pas pour lui inspirer une grande crainte des troupes coloniales. Si elle n’avait plus à sa tête l’intelligent Mochech, fondateur de son unité, des chefs énergiques comme Masoupa pouvaient encore conduire ses légions à la victoire, et précisément, un affreux désastre semblait établir l’égalité du noir et du blanc sur les champs de bataille. C’était la journée