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les naturels. Le nerf économique et stratégique du pays serait développé, la paix maintenue par un système de largesses bien placées ; les noirs trouveraient de l’occupation dans les travaux publics et on les civiliserait. De son côté, le Cap constituerait à l’état permanent ses moyens de défense. Après, il marcherait tout seul.

Ce programme excellent se heurtait à la mauvaise humeur des colons, qui se croyaient joués. Il fallait, pour défrayer un corps dit : « Police montée de la frontière, » 1,250,000 francs. En 1856, le budget passa sans trop d’encombre à la chambre basse, mais non au conseil législatif. Ce sénat de quinze membres n’était presque jamais en nombre suffisant pour voter, et des abstentions voulues l’avaient réduit à cinq présens, dont trois combattaient le crédit. On s’avisa fort heureusement d’aller quérir en ville un sénateur relevant de maladie et bien disposé : il vint sur des béquilles, le haut aréopage se trouva divisé en deux parties égales, — six personnes en tout, — et une septième, le chief justice, président de droit, usa de ses prérogatives constitutionnelles pour départager les voix en faveur du gouvernement. La chose était presque amusante. Tandis que sir George Grey se débrouillait ainsi, lord Derby avait formé à Londres un ministère conservateur. Les théories coloniales des libéraux subissaient une éclipse et la situation du gouverneur du Cap devenait difficile. On le rappela en 1859. Ses administrés pétitionnèrent pour obtenir son retour. Il trouva, en arrivant, le cabinet tory renversé, Palmerston, Russell et Gladstone revenus au pouvoir, fut réintégré dans son poste, et y passa une année de plus.

Son successeur, sir Philip Wodehouse, devait l’honneur d’une nomination si enviée au clan libéral et probablement à des influences de famille ; mais c’était un homme autoritaire, perspicace, d’ailleurs, inquiet des séparatismes qu’il voyait poindre derrière les autonomies. Il allait tenter inutilement un retour aux anciennes méthodes, poussé à la réaction quand les conservateurs occupaient le pouvoir, mal vu le lendemain et en fin de compte désavoué. Si, au service d’un cabinet dont il ne partageait pas toutes les tendances, l’occasion s’offrait de montrer de la poigne, sir Philip Wodehouse se retrouvait dans son élément : il frappait dur. Ses débuts le mirent en lumière tel qu’il était, centraliste même en faisant de la décentralisation. Une ancienne dépendance de la colonie du Cap, la Cafrerie britannique, en avait été détachée pour des raisons militaires et placée sous la tutelle immédiate du Colonial Office. Comme elle coûtait gros, M. Gladstone et ses amis aspiraient à se délivrer de cette charge ; le moyen le plus simple parut de la repasser aux colons. Mais ceux-ci ne voulaient pas du