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Qu’elles croissent en nombre et en bien-être, et, quelque chose qui arrive, nous, citoyens de ce grand empire, nous aurons la consolation de savoir que nous avons contribué au bonheur du monde. »

Ce magnifique langage ne péchait que par un endroit. N’était-ce pas s’aviser bien subitement d’une si haute égalité d’âme quand, la veille encore, on jouait avec les susceptibilités d’une colonie sans nul souci de la consulter dans une affaire qui l’intéressait pourtant comme domestique au premier chef sans même prendre garde à ses réclamations ? Ne se donnait-on pas avec trop de complaisance des allures de grand seigneur lorsqu’il avait fallu céder assez humblement, et pouvait-on oublier que les bonnes gens de Cape-Town venaient de s’offrir en miniature, après Paris, Vienne et Berlin, une révolution de 1848 ?


Après la méprise initiale dont lord John Russell avait si gaillardement accepté les conséquences, il restait à se jeter d’un écueil sur l’autre.

Depuis dix ans au moins l’heure avait sonné de reconnaître qu’un conseil-général électif faisait faute, urgemment, à la colonie du Cap. Le 23 mai 1850, des lettres-patentes, signées Victoria, posèrent en principe qu’on lui donnerait un parlement composé de deux chambres.

Ce luxe nous étonne encore aujourd’hui. Il est même permis d’affirmer que l’expérience le condamne et que la seconde chambre a tout l’air d’une cinquième roue. Sans doute le cabinet Russell ne se crut pas libre de doter Cape-Town d’une main plus avare. On avait introduit au Canada un système de représentation à double échappement, l’Australie a obtenu, par la suite, des parlemens imités de la métropole ; pourquoi moins d’honneur pour le Cap ? Il y avait là une question d’amour-propre à ménager. Mais la dualité s’expliquait à Québec par des raisons particulières. Là il s’agissait de neutraliser l’assemblée issue de la députation en lui donnant le contrepoids d’un conseil supérieur dont les membres tiendraient leur mandat de la couronne. Cette combinaison, inspirée par la crainte de l’élément français, avait été la source de mille embarras. Elle n’aurait donc pas dû paraître expédiente ailleurs, et, dès lors, la création de deux chambres devenait une simple prodigalité.

D’autres considérations permettront mieux peut-être de la comprendre, sinon de l’approuver. Toute l’affaire, en somme, dérivait d’un calcul financier et aboutissait à un calcul financier. Le gouvernement avait failli se mettre dans l’obligation de bombarder la péninsule et la ville du Cap, pourquoi ? Par besoin d’une économie