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obligatoire en munitions comprenait de vingt à vingt-cinq coups par pièce. Tout navire marchand, en principe, devait être en mesure de se défendre. Par une conséquence naturelle, tout navire marchand se convertissait facilement en pirate. Ce qui distinguait la course de la piraterie, c’était « la lettre de marque. » Les ordonnances de Charles-Quint, complètement d’accord sur ce point avec le droit maritime généralement adopté en Europe, ne pouvaient laisser aucun doute à ce sujet. « Nous ordonnons, disait l’auguste empereur, que tout capitaine, patron ou autre, quel qu’il soit, qui sera trouvé naviguant en armes sur la mer, sans commission, ou avec une commission fausse, ou avec deux commissions émanant de deux différens pays, dont l’un sera notre ennemi, l’autre notre ami, s’il a causé quelque dommage à nos sujets, soit considéré comme pirate. »

La double commission a toujours été le grand moyen de fraude mis en œuvre par la navigation illicite. Elle rend très délicat l’exercice du droit de visite international. Nous l’avons vu, de 1816 à 1830, sur la côte d’Afrique, où, en vertu d’un acte du congrès de Vienne, les croiseurs européens poursuivaient à outrance les négriers. La France s’était réservé le droit de faire elle-même la police de ses vaisseaux ; elle n’admettait pas que les Anglais pussent les arrêter. Qu’arrivait-il ? Les négriers français se procuraient à l’île de Saint-Thomas, outre les expéditions françaises prises au port de départ, des expéditions danoises. A la vue d’un croiseur soupçonné d’être anglais, c’était le pavillon français que le négrier arborait, les expéditions françaises qu’au moment de la visite il présentait. Les Anglais n’en saisissaient pas moins le bâtiment. Par ruse ou par violence, ils finissaient toujours, au bout de quelque temps, par faire sortir la commission propre à légitimer la capture de la cachette où le capitaine la tenait soigneusement enfermée. Bien des conflits ont failli naître de cette ardeur apportée par les Anglais à courir par toute voie, légale ou illégale, à la part de prise. N’a-t-on pas vu, en 1829, le capitaine Villaret-Joyeuse faire enlever par ses embarcations, en plein jour, sous les forts de Sierra-Leone, un négrier français ainsi séquestré ? La fraude prévue par Charles-Quint n’avait donc pas été pressentie par le congrès de Vienne ? Elle ne le fut pas peut-être à dessein. La restauration ne pouvait se consoler de la perte de notre beau domaine colonial ; l’abolition de la traite et de l’esclavage ne possédait qu’à demi ses sympathies.

La guerre de 1552, entre l’Espagne et la France, mit sur pied tous les corsaires de Dieppe et de La Rochelle. On sait ce que le célèbre armateur Jean Ango avait fait du port de Dieppe. Il en