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nuits noires à travers ces obstacles qui n’ont pas même, comme les roches de Bretagne, le rauque mugissement des brisans pour vous avertir de leur présence : alors peut-être, mais alors seulement, vous pourrez vous flatter d’avoir compris ce qu’on peut demander à l’audace humaine, et vous ne décernerez plus si négligemment ce titre qui embrasse tant de choses, le titre de « grand homme de mer. »


III

La marine néerlandaise, au moment où le mouvement de 1568 éclata, possédait déjà une histoire. Elle s’était plus d’une fois réunie sous un même étendard ; elle avait eu des amiraux célèbres, une tactique ; elle avait livré des batailles. En 1438, la jalousie commerciale arma contre elle les villes de Lubeck, de Hambourg, de Rostock, le roi de Danemark, les ducs de Holstein, de Poméranie et de Prusse, les Espagnols et les Vénitiens. La Néerlande fit tête à l’orage. En un instant, tous les vaisseaux jugés propres à la guerre furent équipés. Le duc régnant, Philippe de Bourgogne, n’approuva pas seulement l’armement ; pour le compléter, il prêta ses soldats. Les gens de l’Est, — les Osterlingues, — c’est ainsi que les Hollandais appelaient leurs ennemis, — furent poursuivis, battus en mainte rencontre, chassés des mers qu’ils infestaient, et, pour la première fois, le balai, le fameux balai historique, signe d’une domination dont l’Angleterre ne songeait pas encore à prendre ombrage, apparut à la pomme du grand mat à bord du vaisseau-amiral : « Le lion dort, » avait dit à ses compatriotes un des envoyés des villes hanséatiques, « le lion dort : prenez garde de l’éveiller ! »

Les Osterlingues domptés, il fallut mettre un frein aux déprédations des Anglais. Henri van Borselen, comte de Grampré, seigneur de Ter-Vere, de Flessingue, de Westcappel et autres lieux, reçut du duc Philippe et conserva sous le règne de Charles le Téméraire le titre de « capitaine-général et amiral de la mer. » On lui confiait une mission difficile. Il s’agissait d’aller refouler dans ses ports le vaillant Richard duc de Warwick, qui ne cessait de molester et de harceler la navigation néerlandaise.

Henri van Borselen appartenait à une des premières familles des Pays-Bas. Possesseur de vastes domaines, déjà célèbre par sa connaissance approfondie du métier de la mer, il équipa rapidement sa flotte, puis, monté sur son beau vaisseau peint aux couleurs de ses armes, ces mêmes armoiries s’étalant dans tout leur éclat au centre de ses voiles gonflées par la brise, ses flammes, ses guidons, ses gaillardets déployés et flottant au vent, il partit