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ment leurs ovations et leurs fêtes à Brest ; rien de mieux ! On ne voit cependant pas bien la nécessité de laisser de jeunes lycéens se mêler à ces manifestations, prononcer des allocutions et se livrer à de juvéniles forfanteries. On ne voit même pas absolument l’opportunité ou la convenance de communications directes entre nos municipalités et le tsar. L’entente franco-russe reste une affaire assez sérieuse pour qu’on ne la compromette pas par des obséquiosités ou des puérilités.

Autrefois c’était en Europe que se concentrait et se décidait la politique universelle. Aujourd’hui l’Europe n’est plus qu’un point du globe et pendant que le vieux monde a tant de peine à se diriger lui-même, à administrer ses affaires, il y a au-delà des mers tout un monde nouveau qui vit de sa vie propre, qui a sa civilisation, ses révolutions, ses conflits, ses élections, ses crises d’industrie, ses intérêts souvent rivaux des intérêts de l’ancien continent. De toutes parts, des États-Unis du Nord et du Canada, jusqu’à la Terre de feu, à l’extrémité de l’Amérique, — jusqu’à l’Australie, les questions et les incidens se pressent. Ce ne sont partout que jeunes États déjà puissans ou émancipés d’hier, ou encore en travail d’émancipation, dont les affaires politiques, commerciales ou financières ont leur retentissement et leur influence jusque dans le vieux monde. Les États-Unis ont depuis longtemps la première place par la rapidité de leur croissance, par une puissance presque illimitée d’expansion, par l’énergie des mœurs publiques comme par la fécondité du travail et de l’industrie. Ils aspirent, ils ne le cachent pas, (à fonder par la force ou par la diplomatie leur prépondérance sur ce nouveau monde qui se forme, et ils sont des rivaux redoutables pour l’Europe, atteinte ou menacée dans ses relations de commerce avec ce vaste marché américain. Tout dépend encore aujourd’hui de la politique qui l’emportera à Washington, de l’issue de la lutte engagée entre les deux partis qui se disputent le gouvernement de l’Union, entre l’ultra-protectionnisme représenté par les républicains, résumé dans le bill Mac-Kinley, et la liberté commerciale, une liberté relative, représentée par les démocrates. C’est précisément ce qui fait l’intérêt des élections qui viennent de mettre encore une fois les États-Unis en mouvement, de cette mêlée nouvelle où les deux politiques se sont retrouvées en présence.

À la vérité, ces élections d’hier n’ont pas et ne pouvaient pas avoir la même signification, la même portée que les dernières élections du congrès, qui étaient une protestation foudroyante contre le bill Mac-Kinley, une défaite accablante pour l’ultra-protectionnisme et les républicains. Il ne s’agissait cette fois que d’un scrutin local, du renouvellement des législatures et des gouverneurs des États. Les élections récentes ne sont pour ainsi dire qu’un épisode entre les élections qui ont déjà envoyé une immense majorité démocratique au congrès, et l’élection désormais prochaine du président qui dira le dernier mot