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qu’il a paru avouer pendant ces mois d’automne devant le pays ? La tentative peut sans doute lui attirer des difficultés et des luttes. C’est possible ; mais, au moins, c’est une politique qui, en répondant aux vœux de la masse française, fortifie la république elle-même et qui peut, de plus, décider des mouvemens d’opinion favorables à un gouvernement sérieux. Et puis, enfin, il faut tout voir. Il ne s’agit nullement de subordonner nos affaires intérieures à des considérations extérieures. Qu’on y réfléchisse bien, cependant : croit-on que des agitations ou des oscillations radicales, une crise ministérielle préparant des crises nouvelles, seraient bien faites pour affermir la France dans les positions qu’elle a reconquises, pour la relever dans l’estime du monde ? Voilà toute la question !

Avant que l’Europe retrouve son équilibre, sa stabilité et la paix, une paix durable ou suffisante, il y en a peut-être pour longtemps. Ce n’est pas que la bonne volonté manque aux chefs de gouvernement, à tous ceux qui ont la redoutable mission et la responsabilité de diriger les affaires des peuples. Ils sont visiblement pour la plupart pleins de bonnes intentions, ils n’ont que des paroles rassurantes. Malheureusement ils ne peuvent supprimer les antagonismes nés de la force des choses, les problèmes douloureux, l’incertitude qui suit les longues commotions, les incidens imprévus. Tout ce qu’ils peuvent se proposer de mieux, c’est d’éviter les difficultés inutiles, d’adoucir les chocs inévitables, de se défendre des paniques propagées par les inventeurs de faux bruits, d’émousser ce qui pourrait paraître agressif dans leur diplomatie ou dans les armemens dont l’Europe se cuirasse. Cela, ils le peuvent et ils le font en toute circonstance. Le chancelier d’Allemagne l’a fait ; M. le président du conseil de France l’a fait avec art ; M. de Giers l’a fait discrètement à Monza. Assurément, ni lord Salisbury à Guildhall, au récent banquet du nouveau lord-maire, ni M. le marquis di Rudini, à cette réunion du théâtre de Milan où il vient de comparaître, n’ont eu l’intention de troubler ou d’émouvoir le monde.

S’il est arrivé quelquefois à un premier ministre britannique de saisir cette occasion du banquet du lord-maire pour faire à l’opinion européenne la surprise de quelque indiscrétion calculée et retentissante, ce n’est pas lord Salisbury qui aura été pour cette année ce premier ministre. Rien certes de plus pacifique, de plus simple que le discours du chef du cabinet de la reine ; il est presque trop optimiste. Lord Salisbury, tout en se défendant d’être prophète, ne voit ni un nuage, ni un point noir à l’horizon, rien qui puisse troubler la paix. Il ne voit que des gouvernemens occupés de leurs tarifs, de leurs traités de commerce. Il y aurait bien à remarquer, si l’on voulait, une certaine ambiguïté savante dans ce que le premier ministre anglais dit de l’Egypte, de la solution de cette éternelle affaire égyptienne, des « arrangemens internationaux » qui pourraient être proposés ; mais lord Salisbury répon-