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bandes et leurs chefs désignés indistinctement par nous sous le nom de pirates comprennent de vrais rebelles, particulièrement parmi les Annamites.

Il en est parmi eux qui sont uniquement poussés dans leur lutte contre notre autorité, par la haine de l’étranger et par un pur sentiment de patriotisme, contrairement à l’opinion de certains auteurs qui prétendent que notre mot patrie n’a pas de terme équivalent dans la langue annamite et que ces races de l’extrême Orient ne sont pas susceptibles de se laisser entraîner par ce noble sentiment qui rend les masses et les individus capables des plus grandes choses. La fermeté, le courage avec lesquels nombre de pirates affrontent le couperet du bourreau, après avoir été quelquefois, de la part de leurs juges, l’objet des plus atroces supplices ; les harangues que certains d’entre eux adressent au public dans les momens qui précèdent les exécutions, déclarant, avec la ferveur de martyrs mourant pour la loi, qu’ils n’ont aucun acte de pillage ni de brigandage à se reprocher ; qu’ils ont combattu et qu’ils font le sacrifice de leur vie pour soustraire leur pays à l’oppression étrangère ; le respectueux recueillement avec lequel la foule assiste à ces exécutions capitales et jusqu’à cette précaution sinistre du bourreau qui, dans certaines circonstances, baise et lèche la lame dégouttante de sang, pour conjurer le ressentiment des mânes de l’innocent qu’il vient d’immoler : tous ces faits attestent que l’on se trouve bien alors en présence de véritables rebelles. L’histoire est là, au reste, pour témoigner qu’à une autre époque, lors de l’occupation chinoise, ce sentiment s’est traduit chez les populations du Tonkin par des explosions de haines et de colères qui furent plus d’une fois fatales aux conquérans.

Il faut donc le reconnaître, le parti national de la lutte contre l’influence française existe réellement au Tonkin et en Annam. Ce parti est encouragé et favorisé par de hautes personnalités de l’Annam et de la Chine ; son importance grandit chaque jour et il constituerait bientôt un danger des plus sérieux pour notre protectorat si la pacification du pays se faisait encore longtemps attendre.

Ce parti a, dans toutes les provinces, des représentans choisis parmi d’anciens mandarins ou des lettrés de renom qui prennent le mot d’ordre de l’un d’entre eux, haut personnage dont l’autorité est incontestée et qui a la direction générale du mouvement anti-européen. Les chefs des grandes bandes de pirates lui obéissent également.

C’est de ce personnage qu’émane, sans doute, la proclamation ci-après trouvée dans un refuge de pirates détruit dans le Haut-Yen-Thé, le 30 novembre 1890, par le capitaine Plessier. Nous