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eux n’acceptent qu’à regret notre tutelle, et leur intérêt du moment peut bien quelquefois les pousser à nous témoigner quelque dévoûment, mais ces démonstrations passagères ne doivent nous laisser aucun doute sur leurs véritables sentimens à notre égard. Nous sommes toujours, à leurs yeux, ces barbares occidentaux, ces chiens d’étrangers dont il est question à tout propos dans les proclamations des rebelles.

L’hostilité nullement déguisée que certaines autorités chinoises, par exemple celles de la frontière du Quang-Ton, manifestent contre notre occupation, en laissant publiquement s’organiser, chez eux, à quelques centaines de mètres de nos places, des bandes destinées à attaquer ces dernières ou à faire incursion sur notre territoire ; la crainte de représailles dont ceux qui se compromettent pour notre cause seraient l’objet au cas d’une évacuation que Chinois et Annamites proclament sans cesse imminente ; le spectacle de notre impuissance à débarrasser le pays de cette piraterie qui le mine et le ronge comme une plaie cancéreuse ; enfin la faiblesse actuelle de nos effectifs, les revers essuyés par quelques-uns de nos postes ou de nos détachemens, sont d’ailleurs autant de raisons pour que nous n’apparaissions pas aux yeux des Annamites comme les possesseurs incontestés de ce sol sur lequel nous nous sommes péniblement établis.

Si l’on ajoute à ces causes la fourberie, l’insatiable cupidité de certains fonctionnaires indigènes qui poussent l’impudence jusqu’à pactiser avec les pirates, en vue de faire effectuer dans les villages les plus riches de leur circonscription administrative des razzias dont ils partagent avec ceux-ci les bénéfices ; si l’on considère qu’en raison du contact constant des bandes avec les villages dans lesquels ces derniers séjournent en permanence, tandis que nos détachemens ne font qu’y passer, les habitans sont disposés par goût, ou sont contraints à prêter aux pirates l’aide qu’ils nous devraient et qui nous serait indispensable pour la bonne exécution de nos expéditions, l’on aura un aperçu des difficultés que rencontre notre œuvre de pacification dans le delta même.

Ces difficultés ne sont pas d’un ordre insurmontable ; leur solution réside, à notre avis, dans l’application d’un ensemble de mesures administratives et militaires dont nous nous bornons à indiquer les plus urgentes. Selon un plan à l’exécution duquel doivent concourir les efforts de tous : civils, militaires et marins ; répression de la piraterie dans le delta confiée à l’armée ; comme conséquence, augmentation de l’effectif des troupes européennes et indigènes ; établissement d’un réseau serré de postes militaires, commandés par des officiers et reliés par des communications télégraphiques ou téléphoniques, en attendant la construction, avec le