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souvenir comme celui du plus grand service que j’aie reçu de ma vie. L’exaspération de mes ennemis est telle que ma retraite découverte vous exposerait aux plus grands dangers ; je me dois de vous en exonérer par un acte de courage.

« Je voulais, de mon plein gré, me livrer à la junte révolutionnaire, espérant que la constitution et les lois seraient pour moi comme pour tous un abri suffisant. Mais, quand je vois les chefs de l’armée, les sénateurs et les députés, les municipalités et les juges, les hauts fonctionnaires fugitifs et traqués, j’en conclus que moi, seul responsable pour tous, je n’ai rien à attendre de mes ennemis.

« Je suis prêt à me sacrifier. Fasse le ciel que ce sacrifice suprême apaise la haine de mes adversaires et mette un terme aux persécutions auxquelles mes amis sont en butte ! Que Dieu me soit pitoyable dans mon adversité et dans ma mort ! Qu’il vous bénisse, vous et les vôtres ! Priez Arrieta, qui m’a toujours fidèlement servi, de me rendre les derniers devoirs. Adieu.

« Signe : BALMACEDA.

« P.-S. — Réglez, je vous prie, l’affaire d’honneur dont je vous ai parlé hier soir. Je vous ai confié les noms. Vale. »


III

Accueillie par les féroces cris de joie de la populace de Santiago, la nouvelle de la mort de Balmaceda mettait un terme aux appréhensions de la junte congressiste. Lui disparu, toute résistance devenait sans objet. Une ère nouvelle commence.

Après avoir victorieusement subi, de 1879 à 1882, l’épreuve de la guerre étrangère, la république du Chili vient de traverser celle, plus redoutable, de la guerre civile. Elle en sort, non sans honneur et aussi non sans blessures. Le bon droit triomphe et la légalité l’emporte ; mais si l’on ne peut que se réjouir du résultat, si l’on ne peut qu’applaudir aux vaillans efforts d’un peuple profondément sympathique et dont la vitalité puissante vient, une fois de plus, de s’affirmer, on ne saurait que déplorer les causes qui ont rendu possible une pareille lutte et un moment obscurci le jugement d’hommes dont quelques-uns étaient sincèrement dévoués à leur pays.

Il n’est pas douteux que la constitution chilienne ne laisse la porte ouverte à de redoutables éventualités, qu’une imitation trop