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dégénérait en hostilité ouverte, chacun s’évertuant à contrarier les opérations de l’autre. Puis Canto manœuvrait lentement, mais sûrement pour réaliser son plan ; après mûre réflexion, il avait reporté son centre sur les coteaux de Placilla qui dominent le champ de courses de Viña-del-Mar ; il y concentrait toute sa grosse artillerie et, solidement appuyé sur un camp bien retranché, il estimait pouvoir y tenir assez longtemps pour ramener, en cas d’insuccès, sa flotte à Quinteros. En cas de succès, Valparaiso, prise entre ses navires et son armée, était hors d’état de résister.

Balmaceda n’avait pas les mêmes raisons que Canto pour ajourner la bataille décisive. L’inquiétude gagnait ses troupes dont les querelles de ses généraux et leurs récriminations ébranlaient la confiance ; des symptômes de mécontentement se faisaient jour parmi les bataillons dits de volontaires, en réalité enrôlés par force ; braves comme le sont les Chiliens, ces volontaires se comportaient bien au feu, mais il importait de les soustraire à l’action dissolvante des influences extérieures et des sollicitations secrètes des congressistes.

Le 28 août, Balmaceda, décidé à jouer la partie suprême, donna l’ordre d’attaquer les positions occupées par Canto. Les généraux Barboza et Alcerreza prirent le commandement de leurs colonnes, et l’armée, quittant ses retranchemens de Viña-del-Mar, se déploya sous le jeu des forts. Canto l’attendait de pied ferme ; ses ordres, strictement obéis, étaient de n’ouvrir le feu qu’à courte distance, de se maintenir sur la défensive et, en aucun cas, de ne se laisser entraîner à quitter les hauteurs. Il sentait son armée bien en sa main, pleine d’ardeur et de confiance, il savait ce qu’il pouvait attendre d’elle et de ses lieutenans, il ne doutait plus du résultat.

Nous empruntons aux récits de divers témoins oculaires le tableau suivant de la bataille du 28 août. Ces récits se complètent l’un l’autre et, autant que possible, nous laissons la parole aux spectateurs du combat.

Quand la tête de colonne des troupes de Balmaceda eut quitté l’abri des forts, elle gravit en silence les pentes des collines occupées par Canto. Au moment seulement où elles allaient en atteindre le sommet, un feu meurtrier, à courte portée, l’accueillit et l’ébranla, mais ce mouvement d’hésitation fut de courte durée. Avec une rare intrépidité, les soldats de Balmaceda abordèrent l’ennemi et se ruèrent sur lui. La lutte s’engagea presque corps à corps, mais sur l’ordre de Canto ses bataillons se massèrent rapidement à droite et à gauche, démasquant sa grosse artillerie dont le tir enlevait des files entières d’ennemis, arrêtant net la marche de la colonne que