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Cette attaque annoncée, et que Balmaceda se préparait à repousser en hâtant l’envoi de renforts à Huasco, masquait une opération d’une toute autre importance. Les chefs de la junte congressiste étaient résolus à précipiter les événemens et à ouvrir une campagne décisive. Ils avaient, pour en agir ainsi, plusieurs raisons sérieuses. Balmaceda, par un nouveau décret, appelait 60,000 hommes sous les armes, il venait d’émettre pour 60 millions de papier-monnaie ; ses navires de guerre ne pouvaient tardera arriver. D’autre part, le mécontentement contre Balmaceda gagnait les provinces du sud ; celles du centre étaient profondément désaffectionnées, et la crainte seule les retenait dans l’obéissance. Enfin, la lutte, en se prolongeant, devait fatalement affaiblir le parti congressiste, isolé dans le nord, et impuissant à en tirer les ressources nécessaires pour nourrir une armée que sa flotte devait constamment ravitailler. L’avis du général Canto, vétéran de la guerre du Pérou, prévalut, et l’on décida d’aller attaquer Balmaceda à Valparaiso même.

Le 20 août 1891, six transports congressistes, que l’on croyait en route pour Coquimbo, mouillaient dans la baie de Quinteros, à trente kilomètres au nord de Valparaiso, et débarquaient un corps d’armée de 8,000 hommes que d’autres arrivages renforcèrent rapidement. Ni Balmaceda, ni ses généraux n’avaient prévu ce mouvement dont, le premier moment de surprise passé, ils crurent pouvoir augurer favorablement pour leur cause. L’impatience de leurs adversaires à brusquer le dénoûment, à risquer le tout pour le tout, leur apparaissait comme l’indice d’une situation désespérée. Les balmacedistes avaient en mains d’importans effectifs, ils occupaient un grand port abondamment pourvu ; par les voies ferrées ils pouvaient ramener en ligne les détachemens de Talca et de Valdivia, de Santiago et de Coquimbo ; ils avaient devant eux une double ligne de défense : l’Aconcagua et la plage de Viña-del-Mar, derrière eux le fort Callao puissamment armé et les batteries du port.

Pour compenser ces avantages très réels, les congressistes avaient à leur tête un chef éprouvé, le général Canto, qui inspirait à ses troupes une foi aveugle. Soldat heureux de la guerre du Pérou, il avait conquis sur les champs de bataille une réputation méritée de tactique et d’audace. L’armée congressiste, mieux équipée et pourvu de fusils à tir rapide, n’avait qu’un chef obéi ; l’armée du gouvernement en avait deux, les généraux Barboza et Alzerreca, qui se jalousaient et se disputaient le commandement suprême, que Balmaceda dut prendre pour prévenir un conflit. En 1880, Barboza s’était distingué à la bataille de Tacna, sous les